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Sullivan Gold
Pendant que le Curiosité Avide se préparait au départ, le Mage Imperator accorda la permission à Sullivan de quitter l’Empire ildiran. L’homme trouva les capitaines Kett et Roberts en pourparlers avec des fonctionnaires au sujet des marchandises à embarquer. Il fallut un instant à Rlinda pour le reconnaître.
— Sullivan Gold, c’est ça ? Vous n’étiez pas le directeur de ce moissonneur d’ekti de la Hanse ?
— Si… (Puis les mots lui manquèrent : le service qu’il s’apprêtait à demander n’était pas si grand, mais il représentait beaucoup pour lui.) Le Mage Imperator m’a suggéré de venir vous parler. J’attends avec beaucoup d’impatience de reprendre une vie normale, de revoir ma femme, mes petits-enfants. Cela a été très difficile d’avoir des messages de la Terre. Y a-t-il, euh… une chance que je puisse faire la traversée à votre bord ?
— Jusqu’à la Terre ? s’exclama Roberts. Vous plaisantez.
— La Terre, ou du moins un poste avancé de la Confédération ou des Vagabonds, où il me sera possible de réserver une place sur un autre vaisseau. Peu importe le temps que cela prendra. Mais ce n’est pas en restant ici que je me rapprocherai de ma famille. Le Mage Imperator m’a promis qu’il paierait le prix que vous exigeriez.
Quand Rlinda ricana, il demanda, sur la défensive :
— Qu’y a-t-il de si drôle ?
— Les Ildirans n’ont pas la moindre idée de la façon de négocier. Ils n’arrivent pas à concevoir que l’on puisse profiter d’une occasion pareille.
— Je suis certain qu’il est sincère, dit Sullivan.
Le Mage Imperator lui avait déjà donné un coffret de pierres précieuses ainsi que des reçus pour des métaux rares qui suffiraient à rembourser les dettes de sa famille.
— Oh, je crois aussi, répondit-elle avec circonspection. Mais le Curiosité est déjà bourré de marchandises. Je suis ministre du Commerce, vous savez… Combien de personnes vous accompagneraient-elles ?
Sullivan se gratta la joue et sentit une barbe de plusieurs jours. Il avait encore oublié de se raser.
— Je serais seul. Les autres reconstruisent la Marine Solaire avec Tabitha, et notre prêtre Vert a eu une révélation… à moins qu’il ne s’agisse d’une nouvelle religion, peu importe comment il l’appelle. Ils sont devenus inséparables, à plus d’un sens du terme. Je suis le seul à vouloir partir.
— On trouvera bien une place pour vous. (Rlinda ramassa la plaque d’adamant que l’un des fonctionnaires avait fait glisser devant elle.) On lève l’ancre demain, alors vous feriez mieux de boucler vos bagages.
À bord de la station centrale, Tabitha et Kolker se trouvaient devant lui, mais leur esprit, lui, était ailleurs. Le prêtre paraissait plongé dans une conversation silencieuse, comme souvent quand il discutait avec ses pairs par télien. Mais là, il y avait quelque chose de plus.
— Vous êtes sûrs de vouloir rester ? leur demanda Sullivan pour la troisième fois.
— Nous sommes heureux ici, répondit Kolker.
— Et nous disposons du personnel le plus coopératif que j’aie jamais vu, ajouta Tabitha. Les ouvriers ildirans me suivent comme des canetons, et la rétribution du Mage Imperator pour mes services est plus qu’honnête. Que demander de plus ?
— Et vous, Kolker ? On pourrait vous ramener sur Theroc.
— Je suis sur Theroc chaque fois que je touche un surgeon. J’ai plus important à accomplir ici, et il y a déjà beaucoup de convertis parmi les prêtres Verts.
Il s’interrompit, songeur, puis ajouta :
— Maintenant que Denn Peroni nous a rejoints, je me rends compte des possibilités immenses que recèle le Bras spiral.
Sullivan se montra surpris.
— Denn Peroni ?
— Il voulait savoir comment nous faisions fonctionner tout cela si efficacement, expliqua Tabitha avec un sourire de contentement. Il a été très impressionné.
— Après ma démonstration, c’est comme s’il avait subitement vu la solution d’un puzzle très complexe qu’il aurait essayé toute sa vie d’assembler.
— Cela ne prendrait que quelques minutes et vous comprendriez, dit Tabitha en plaidant presque. Vous auriez une vision globale des choses, comme nous.
Il pouvait voir leur passion, leur accord. Heureusement, il ne craignait pas qu’ils le convertissent de force. C’étaient encore ses amis, et ils ne feraient rien contre sa volonté. Ce n’étaient ni des prosélytes ni des fanatiques. Ils avaient seulement changé.
— Ma vision est assez large à mon goût. Je ne vous en veux pas de votre bonheur. Je vous remercie de vos années de service. Ça n’a pas toujours été facile.
— Cela nous a conduits ici, dit Tabitha. Je ne regrette pas une seconde du voyage.
Il les enlaça maladroitement, rassembla ses affaires à la hâte, puis alla retrouver le capitaine Kett et son Curiosité Avide.