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Sirix
Après sa récente série de revers, Sirix passait enfin à l’offensive… et s’en délectait. Il avait perdu Wollamor, ainsi que la base et la flotte qu’il avait préparées de longue date sur Maratha. Mais il s’était juré de rattraper ces pertes, avec tout ce que ses vaisseaux volés aux FTD comptaient d’armement. Quel qu’en soit le prix, les robots noirs devaient écraser les Klikiss avant qu’ils se propagent sur d’autres planètes. Partout où il le faudrait. C’était la réaction qui s’imposait.
Un monde à la fois.
Une carte stellaire avait été implantée dans ses circuits, de sorte qu’il pouvait guider sa flotte partant où il le désirait, sachant qu’elle aurait le dessus sur les Klikiss. Construite par les humains, elle était équipée de carbo-disrupteurs, de drones fracasseurs à impulsions et de batteries jazer : des armes conçues pour briser la coque en diamant des orbes de guerre. Elles n’auraient donc aucune peine à écraser des insectes.
Sirix s’attendait à trouver une autre base retranchée de robots sur Hifur. Mais lorsque la flotte arriva, il vit que l’enclave avait déjà été conquise. Les Klikiss avaient déferlé du transportail et détruit les robots noirs. Sirix ressentit de la colère et un sentiment aigu de perte : soixante-dix unités irremplaçables détruites, des robots dont la mémoire avait traversé les siècles. Disparus.
En signe de mépris pour leurs propres créations, les insectes avaient parsemé les murs extérieurs de leurs tours en béton résineux de morceaux de robots démembrés : une tête anguleuse, un élytre noir, des pinces tordues.
À en juger par de menues différences morphologiques, ces Klikiss appartenaient à une sous-ruche différente de celle qui avait attaqué Wollamor. Il se demanda combien de spécex s’étaient réimplantés dans le Bras spiral, et combien d’entre eux s’étaient déjà mis en chasse des robots noirs.
Sirix devrait tous les détruire. En espérant que les armes terriennes dureraient assez longtemps pour achever cette tâche. Tandis qu’il analysait les images de Hifur prises à distance, il se demanda qui, des robots ou des insectes, ressentait la plus grande haine. Puis, il détruisit la sous-ruche depuis l’espace. Totalement.
Sa flotte ravagea tous les mondes susceptibles d’accueillir des Klikiss. Il comprit rapidement que l’espèce insectoïde s’était plus largement répandue qu’il ne l’avait escompté, et ses perspectives d’avenir s’assombrissaient de jour en jour.
Il ne pouvait plus se permettre de procéder avec circonspection. Sitôt que sa flotte arrivait sur un monde klikiss, Sirix ordonnait une frappe préventive afin d’anéantir les cités abandonnées et toute colonie hanséatique qui pouvait se trouver en travers de leur chemin. Contraints de se déplacer par transportail, les Klikiss étaient vulnérables à toute attaque lancée de l’espace. Et comme chaque sous-ruche était l’ennemie de toutes les autres, aucune d’entre elles ne diffuserait d’avertissement.
En vue des batailles à venir, Sirix décida d’étendre les compétences de DP et de QT. Il les posta à deux consoles d’armement et leur ordonna d’ouvrir le feu sur les cibles en contrebas. Les deux compers obéirent sans discuter, à présent que leurs restrictions logicielles étaient effacées. Même s’ils n’étaient pas des modèles Soldats, DP et QT se révélèrent efficaces.
La flotte de Sirix détruisit les transportails de Zed Khell, d’Alintan et de Rajapar. Des humains s’étaient établis sur Xalezar, mais les Klikiss les avaient déjà capturés. Apercevant les vaisseaux des FTD, les colons appelèrent à l’aide, mais Sirix n’éprouvait aucune sympathie à leur égard. Il les détestait au même titre que ses créateurs.
Tout d’abord, il anéantit le transportail. Puis ce fut au tour des bâtiments klikiss les plus récents. Enfin, pour faire bonne mesure, il effaça toute trace de la colonie humaine. Une autre planète cautérisée. Il progressait bien.
Sur Scholld toutefois, un obstacle imprévu se dressa. La sous-ruche présente était plus forte, son spécex plus innovant. Lorsque Sirix commença son bombardement habituel, l’ennemi contre-attaqua de façon alarmante.
Une myriade de petits engins volants identiques s’éleva de l’antique cité en tirant une salve dévastatrice. Puis elle se rassembla pour former une nef-essaim de plus en plus grosse.
Les Klikiss avaient monté des usines assez rapidement pour construire leur propre vaisseau spatial ! Depuis combien de temps existait-il ? Si les Klikiss pouvaient voyager de planète en planète sans leurs transportails, l’infestation se répandrait plus vite que les robots ne pourraient espérer la juguler !
Les Mantas établirent un tir de barrage pour repousser les éléments de la nef-essaim, mais elles ne pourraient pas tenir contre une attaque concertée de grande ampleur.
« À tous les robots, repliez-vous », transmit-il.
Il mena le Mastodonte dans une retraite précipitée. La taille de la nef-essaim croissait à mesure qu’elle incorporait de nouveaux éléments. Puis elle se lança à la poursuite des vaisseaux des FTD.
DP et QT attendaient à leurs postes d’artillerie.
— Doit-on ouvrir le feu ?
— Seulement en mode défensif, répondit Sirix. (Il venait d’estimer leurs chances de victoire, et savait qu’ils ne pouvaient abattre toutes leurs cibles.) On ne peut lutter contre une nef-essaim de cette taille.
Il transmit ses ordres, et sa flotte s’éloigna en hâte.
La situation était pire qu’il l’avait imaginé. Alors qu’ils battaient en retraite, il marmonna :
— L’éventail des possibilités qui nous restent se réduit comme peau de chagrin.