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Jora’h le Mage Imperator
Voilà longtemps que le Mage Imperator avait cherché à s’allier aux humains, mais aussi à se soulager du fardeau de la culpabilité. Cela fait, il pouvait quitter Theroc. Aller enfin de l’avant, et retourner chez lui avec Nira.
Une grande satisfaction emplissait son esprit. Nira avait de nouveaux surgeons, ainsi que la promesse que cinq prêtres Verts viendraient prochainement à Mijistra. Jora’h se tenait avec elle dans le centre de commandement de son croiseur cérémoniel. Celui-ci s’éloignait des vaisseaux-arbres verdanis qui ceignaient la planète vert-bleu telle une couronne d’épines. Voilà longtemps qu’il n’avait pas éprouvé autant d’espoir et d’euphorie. L’Empire était de nouveau sur la bonne voie…
Soudain, le thisme fit entendre un rugissement de terreur et de souffrance. Jora’h se raidit, frémit, puis faillit tomber comme une clameur mentale le faisait s’écrier :
— Le feu, la douleur ! Je sens cela dans toute Mijistra !
Sa connexion avec son Premier Attitré était claire. Yazra’h, Osira’h et tant d’autres Ildirans partageaient la même agitation. Un événement apocalyptique se produisait en ce moment même, alors qu’il se trouvait loin de son peuple !
Nira perçut elle aussi le changement. Elle effleura l’un des surgeons qu’elle avait apportés dans le centre de commandement.
— Kolker n’est pas là, dit-elle. Et personne d’autre ne peut utiliser le surgeon. Je ne sais pas ce qui se passe.
— C’est Rusa’h. Il est de retour avec ses faeros. Daro’h nous avait avertis. Il faut rejoindre Ildira immédiatement !
Les propulseurs interstellaires du croiseur montaient déjà en puissance. Le thisme retentissait des vagues de chaos, de destruction et de feu.
— Plus vite ! cria Jora’h au capitaine du croiseur.
Sûr de sa victoire, Rusa’h ne se donnait plus la peine de se cacher du thisme.
Percevant l’urgence, les opérateurs des scanners se précipitèrent à leurs consoles. L’officier tactique cria un avertissement inattendu :
— Seigneur, des vaisseaux viennent d’apparaître ! Ils convergent sur nous en ce moment même ! En grand nombre. Ils appartiennent aux Forces Terriennes de Défense.
Les vaisseaux des FTD – un Mastodonte armé jusqu’aux dents et quatre Mantas – se mirent en travers de la route du croiseur lancé à pleine vitesse.
— Pourquoi sont-ils là ? Évitez-les ! Je n’ai pas de temps à accorder aux jeux politiques des humains. Nous devons partir, tout de suite…
— Dois-je ouvrir le feu, Seigneur ?
Jora’h se trouva embarrassé. La Marine Solaire, ouvrir le feu sur les Forces Terriennes ? Cela n’avait pas de sens. Il venait juste de former une alliance avec le roi Peter.
L’angoisse crispait le visage de Nira.
— Ces vaisseaux pourraient bien être des ennemis, Jora’h. Ne compte pas que les FTD soient assez raisonnables pour… (Elle toucha son plant d’arbremonde et laissa échapper un cri aigu.) Le surgeon du Palais des Prismes ! Il vient d’être détruit. Je suis coupée de là-bas. L’arbre a… brûlé.
Jora’h regarda les bâtiments militaires qui lui bloquaient la route.
— Oui. S’ils ne bougent pas, je n’aurai d’autre choix que d’opérer une frappe. Préparez-vous à faire feu…
Le Mastodonte lui épargna d’avoir à prendre cette décision en tirant sans avertissement sur les moteurs du croiseur lourd, lui infligeant des dégâts majeurs.
Dans le centre de commandement, les officiers de la Marine Solaire reculèrent comme leurs postes projetaient des étincelles. Le croiseur vacilla, tandis que de nouveaux impacts résonnaient sur sa coque. Nira agrippa le pot de son surgeon afin d’empêcher qu’il ne se fracasse sur le pont. Jora’h trébucha contre la rambarde quand le pont se déroba sous ses pieds.
— Pourquoi nous tirent-ils dessus ? (Il sentait le feu des faeros ravager le thisme, de sorte qu’il éprouvait des difficultés à penser clairement. Ildira tout entière courait un terrible danger.) Sortez-nous de là !
— Les moteurs ne répondent plus, Seigneur.
— Ouvrez le feu ! Visez leur Mastodonte. Faites tout ce qui vous est possible pour nous libérer.
Son esprit s’affolait. Lorsqu’il était parti en mission de paix et de contrition, il n’avait pas imaginé qu’il se trouverait lui-même engagé dans une guerre.
— Nos ingénieurs opèrent déjà aux postes principaux, Seigneur. Ils ignorent s’ils pourront réparer à temps.
Malgré la douleur brûlante qui émanait de son surgeon après la mort violente de Kolker, Nira devait envoyer un rapport sur ce qu’il advenait ici. Le Mage Imperator était attaqué. Peut-être que sur Theroc, le roi Peter, des Vagabonds ou même un vaisseau verdani pourraient leur offrir une assistance.
Un officier des FTD haut gradé apparut à l’écran.
« Je suis l’amiral Esteban Diente, venu lancer une invitation au Mage Imperator. Nous souhaitons qu’il nous accompagne.
— Une invitation ? Vous avez tiré sur mon vaisseau amiral. Cela est un acte de guerre contre l’Empire ildiran.
— Le président Wenceslas souhaite discuter d’affaires d’intérêt commun avec vous, monsieur, dit Diente, le visage de marbre. J’ai pour instructions de vous escorter sur Terre avec tout l’honneur dû à votre rang.
— Je refuse ! Une crise est en cours sur Ildira, je viens de l’apprendre. Je dois retourner à mon palais sans délai.
— Vous n’avez pas le choix, monsieur. Puisque vos propulseurs sont endommagés, nous allons remorquer votre vaisseau. »
Des faisceaux tracteurs accrochaient déjà la coque du croiseur. Une secousse se fit ressentir lorsque les vaisseaux terriens renforcèrent leur prise.
— On nous kidnappe, dit Nira.
— Et Mijistra est en flammes !
Jora’h se tourna vers Diente à l’écran :
« Je fais face à une urgence. Vous devez me laisser retourner sur Ildira. Immédiatement ! »
Le calme imperturbable de son interlocuteur indiquait que celui-ci avait répété maintes fois son texte :
« Vous avez parlé avec le chef d’un gouvernement illégal. Le président, seul représentant officiel de la Terre, souhaite simplement faire valoir son droit de réponse. »
Sans lui laisser le temps de réagir, Diente ferma la communication et ne répondit plus aux appels qui suivirent.
Jora’h était piégé, et son croiseur ne pouvait aller nulle part. Et son palais bien-aimé subissait l’enfer de la vengeance de Rusa’h !
Dans une embardée, le croiseur bougea. La flotte de la Hanse les entraînait en direction de la Terre, et il n’y avait rien qu’il puisse faire.