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Celli
— Tu es prête, mon enfant, et la forêt-monde est prête pour toi, dit Yarrod à Celli en appliquant une autre tache de teinture végétale sur sa joue. Je n’ai jamais vu les arbres accepter un acolyte si rapidement.
Il passait le plus clair de son temps avec le groupe de Kolker, dont il partageait les perceptions aiguisées et la joie toujours renouvelée. Cela ne l’empêchait pas toutefois de remplir ses devoirs, et il était manifestement fier de sa nièce.
Celli avait su le moment exact où elle était prête. La forêt-monde voulait l’accueillir en son sein. La jeune fille comprenait à présent que tel avait toujours été le cas. Mais la forêt avait attendu qu’elle arrive par elle-même à cette conclusion.
— Je m’entraîne depuis longtemps, même si je n’étais pas officiellement une acolyte, répondit-elle.
Solimar et ses pairs avaient approuvé son arrivée prochaine parmi eux. Lorsque son amoureux l’avait serrée dans ses bras, elle avait su que c’était la dernière fois qu’une barrière de silence se dressait entre eux. Bientôt, tous les deux se comprendraient totalement. Leur communication n’aurait plus de limites.
Celli sentait enfin qu’elle avait trouvé sa place. Durant la majeure partie de son existence, elle n’avait pas reçu de directives, ni même eu l’impression qu’on attendait quelque chose d’elle. Reynald, Beneto, Sarein, Estarra… tous avaient accompli un destin. Mais pas elle, la sœur cadette. Aujourd’hui, elle savait que les arbres voulaient faire d’elle une prêtresse Verte, comme Beneto, et que ce désir était réciproque.
Après avoir fait une marque sur chacune de ses joues, Yarrod avait expliqué en deux mots ce qui l’attendait : « Tout acolyte doit en passer par là avant de devenir prêtre. Tu vas le faire, comme moi-même je l’ai fait. Comme nous l’avons tous fait. »
Elle avait mitraillé Solimar de questions à ce sujet, mais il était resté tout aussi évasif : « Je ne veux pas te gâcher la surprise. »
Ainsi, Celli courait seule dans la partie la plus dense et la plus mystérieuse de la forêt. Elle aurait voulu que Solimar l’accompagne, mais ce n’était pas permis. Ce devait être son propre périple. Marchant d’un pas souple, elle couvrit des kilomètres, traversant des endroits qu’elle n’avait jamais vus, des prairies et des halliers verdoyants plus surprenants encore que l’endroit où elle avait découvert le golem de bois de Beneto.
Ses pas la menèrent dans un vallon accueillant. Son instinct lui souffla qu’elle devait y pénétrer. Elle était guidée par les arbres, les premiers murmures du télien. Les rameaux, les plantes grimpantes et les feuilles s’écartèrent devant elle, comme si chaque parcelle végétale était consciente. Elle n’éprouva nulle crainte lorsque le feuillage l’enveloppa comme dans un cocon, se pressa contre son corps en une étrange étreinte… jusqu’à ce qu’elle ne fasse plus qu’un avec la forêt-monde.