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Adar Zan’nh
Ces derniers temps, sauver les humains incombait souvent à la Marine Solaire. Après la parade aérienne qui avait démontré l’habileté de ses vaisseaux, Zan’nh mena sept croiseurs lourds écrémer les planètes klikiss connues à la recherche de colonies humaines. Il n’avait aucune idée de ce qu’ils découvriraient.
En son for intérieur, l’adar se demandait si cette tâche relevait réellement de la Marine Solaire, déjà tant éprouvée. Si les inquiétudes de Daro’h, le Premier Attitré, à l’encontre des faeros étaient fondées, les Ildirans affrontaient déjà une nouvelle menace. Et lui-même devrait avoir réuni ses officiers afin de discuter de la façon de résister aux entités ignées. Et cependant, il volait à la rescousse des colons. D’après lui, les ennuis des humains étaient entièrement leur faute.
Nira, cependant, avait convaincu le Mage Imperator, et le Mage Imperator avait ordonné. Zan’nh, l’adar de la Marine Solaire ildirane, n’avait qu’à obéir. Il donna ses ordres à son septar et, une fois les coordonnées de la mission entrées, les vaisseaux géants prirent le large.
Lors de la surprenante rencontre sur Maratha, il avait eu un aperçu de la force militaire klikiss. Il savait combien les insectes seraient difficiles à vaincre, en particulier avec sa flotte décimée. Il espérait que ce sauvetage malavisé n’allait pas, sans qu’on l’ait voulu, provoquer une guerre contre cette espèce imprévisible.
À la tête des croiseurs qui s’acheminaient vers leur première destination, il se tenait dans le centre de commandement, aussi immobile qu’une statue. Les Ildirans avaient connaissance des mondes klikiss déserts depuis des milliers d’années, mais ils ne les avaient pas transformés en colonies. Ce n’était pas la peine. Le Bras spiral était vaste. Mais les humains s’en étaient emparés.
Les Ildirans n’avaient pas un caractère si cupide. Ils n’essayaient pas de bâtir sur quelque chose qui ne leur appartenait pas, ou d’améliorer une technologie qui fonctionnait déjà parfaitement. Ils avaient atteint ce que l’on considérait comme l’apogée de leur civilisation.
D’un autre côté, les humains avaient aidé les Ildirans. Les propulseurs des vaisseaux de l’Empire disposaient d’autant d’ekti que nécessaire. Il n’y avait plus de rationnement, grâce à l’ingéniosité et à l’ambition des Vagabonds. Zan’nh lui-même s’était reposé sur les aptitudes des ingénieurs humains pour apporter les innovations dont ses bâtiments avaient eu besoin lors de la bataille finale contre les hydrogues. Sullivan Gold et Tabitha Huck avaient sauvé des milliers de soldats ildirans en automatisant les croiseurs, alors même que les Ildirans les maintenaient prisonniers. Zan’nh fronça les sourcils, l’esprit en émoi.
Encore aujourd’hui, Tabitha et ses hommes œuvraient à reconstruire des croiseurs lourds, plus vite qu’aucune équipe ildirane n’aurait pu l’imaginer. Du jour au lendemain, ils avaient développé une technique d’échanges qui surpassait le thisme. Tabitha avait expliqué que le prêtre Vert leur avait montré comment travailler ensemble de façon totalement coopérative, décuplant ainsi leur productivité. Zan’nh ne comprenait pas cela, mais au vu des résultats stupéfiants, il ne pouvait se plaindre.
Son navigateur interrompit ses réflexions :
— Nous approchons de Wollamor, adar.
— Poursuivez le balayage des scanners. Avec prudence : nous ne savons pas ce qui nous attend. Envoyez un signal pour vous informer de l’état de la colonie. En fait, essayez de voir s’il y a encore des colons. Les Klikiss sont peut-être déjà arrivés.
Et si les humains souffrent de cette situation, ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes.
— Aucune réponse, adar. Je ne capte aucune transmission ni aucune signature énergétique.
— Continuez à scanner. Les Klikiss ne sont pas enclins au secret. Si l’une de leurs nefs-essaims est ici, nous la trouverons.
L’officier des communications poursuivit ses émissions, mais Wollamor resta plongée dans le silence.
— Peut-être que nos rapports sont inexacts, suggéra Zan’nh. Peut-être que Wollamor ne faisait pas partie de leur campagne de colonisation des mondes klikiss.
— Nous avons vérifié, adar.
— Alors, nous allons nous assurer de cela de visu. Approchez les croiseurs de la colonie. Chargez les armes, et que les artilleurs se tiennent parés à tirer.
La septe entreprit sa descente en formation parfaite, comme à la parade. Mais cette fois, son seul public se constituait de fantômes et de ruines noircies.
La colonie de Wollamor avait été dévastée, la cité klikiss originelle comme la ville humaine plus récente. Les tours de la ruche avaient été rasées. Les collines avoisinantes jadis criblées de galeries s’étaient effondrées. Plusieurs vaisseaux gisaient sur ce qui avait été un terrain d’atterrissage. Une analyse confirma que ces épaves avaient été des croiseurs des FTD.
Zan’nh était affligé par le massacre. Les robots avaient-ils livré bataille ici, comme sur Maratha Prime et Seconda ? Ou le retour des Klikiss en était-il la cause ? Personne ne fut capable de lui apporter une réponse, tandis que ses croiseurs survolaient les lieux, faisaient demi-tour, puis repassaient.
— Envoyez des équipes au sol. Il faut comprendre ce qui s’est passé.
Le reste de la journée, celles-ci écumèrent les débris avant de revenir au rapport. Elles avaient trouvé de nombreux cadavres de Klikiss, des piles d’ossements humains, des robots noirs détruits et des compers Soldats terriens.
Adar Zan’nh ne parvint pas à élaborer un scénario convaincant. Mais à mesure que les images macabres se déroulaient sous ses yeux, son mépris et sa condescendance s’évanouirent. Même les plus naïfs des colons ne méritaient pas le sort qui leur avait échu. Il éprouva une sympathie sincère à leur égard, de la colère et un sentiment d’urgence. Il ne s’était pas attendu à cet épouvantable génocide. C’était trop horrible pour qu’on puisse l’ignorer.
— Rappelez les équipes, nous partons sur-le-champ. Il nous faut rejoindre les autres colonies humaines. Au plus vite.