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Jora’h le Mage Imperator

La flotte d’Adar Zan’nh, en expédition de secours affrétée par le Mage Imperator, était de retour avec les réfugiés de Cjeldre. Flanqué de Nira et de ses enfants ainsi que de son Premier Attitré, Jora’h sortit à leur rencontre. Il avait hâte d’apprendre jusqu’où les Klikiss s’étaient étendus et quelle était l’importance des dégâts qu’ils avaient d’ores et déjà causés. Il redoutait une nouvelle guerre. L’espèce klikiss était-elle un ennemi de l’Empire ildiran ?

Il descendit du Palais des Prismes jusqu’à la place en contrebas, d’un pas brusque qui manqua de le faire trébucher sur les assisteurs qui se pressaient autour de lui. Puis il attendit l’atterrissage des vaisseaux de guerre ornementés de Zan’nh. Des fonctionnaires, des courtisanes, des remémorants et des lentils marchaient en procession à sa suite afin de faire bon accueil à la Marine Solaire.

À bord des plates-formes d’assemblage orbitales, Tabitha Huck et son équipage avaient célébré l’événement en lançant neuf croiseurs lourds, qui accompagnaient le vaisseau amiral dans sa descente. Autour des croiseurs, des vedettes rapides exécutaient des manœuvres aériennes élaborées. Le peuple ildiran manifestait sa joie. Tout ce qu’il avait besoin de savoir était que la mission de l’adar était couronnée de succès… pas plus.

Le vaisseau amiral se posa sur le pavage en mosaïque, ses voiles solaires déployées et ses fanions métalliques ondulant au vent. Jora’h puisa du courage dans la proximité de Nira. Osira’h tenait la main de Daro’h, comme si elle adoptait de nouveau le comportement normale d’une petite fille. Les « révélations » de Kolker avaient occupé les enfants de Nira, aux yeux et aux idées si étranges. Ils avaient proposé à leur mère de lui montrer, mais celle-ci avait préféré rester concentrée sur Jora’h afin de le conseiller.

Les rampes de débarquement s’abaissèrent. Après un long silence d’attente, Zan’nh sortit, en tête d’un groupe de sous-commandants suivi par des soldats de la Marine Solaire en uniforme et enfin par la bande d’humains qu’on avait évacuée de Cjeldre. Une centaine à peine. Nira attendit que d’autres apparaissent. Elle retint son souffle, puis dit :

— C’est… tout ?

L’adar frappa du poing le centre de sa poitrine.

— Nous nous sommes rendus sur plusieurs autres colonies connues, Seigneur. Certaines étaient inhabitées, d’autres dévastées. Sur Cjeldre, toutefois, nous avons trouvé ces humains encore en vie.

— Avez-vous rencontré les Klikiss ? l’interrogea Jora’h. Combien d’entre eux ?

— Ils sont en effet revenus en force. Sur Cjeldre, les humains étaient déjà prisonniers. Si nous n’étions pas arrivés à ce moment-là, ils auraient été tués.

Ce disant, il paraissait secoué.

— Il nous a sauvés ! cria l’un des humains en arrière.

Zan’nh jeta un coup d’œil aux réfugiés hagards, puis à son père.

— Oui, Seigneur, nous les avons sauvés. (Il semblait content de lui-même et embarrassé en même temps.) Ce n’est pas… honorable, ce que les Klikiss ont fait sur ces planètes.

Nira ouvrit les bras à l’intention des réfugiés.

— Nous sommes heureux que vous soyez en vie. Nous sommes ravis que vous soyez là.

Les gens descendaient des rampes de débarquement, titubant presque sous l’effet de la gratitude. Jora’h parla à ses assisteurs, qui eurent l’air exaltés d’avoir quelque chose à faire :

— Veillez à ce qu’on octroie à ces humains des quartiers confortables, des vêtements propres, des soins médicaux et toute la nourriture qu’ils désirent.

Les colons de Cjeldre laissèrent entendre un concert de remerciements. Certains d’entre eux semblaient proches de l’évanouissement, d’autres voulaient se ruer sur le Mage Imperator pour l’embrasser. Mais Yazra’h montait la garde, et nul ne réussit à franchir son barrage.

L’adar observa l’émerveillement et le soulagement sur le visage des réfugiés. Il chuchota :

— Vous avez eu raison de m’envoyer en mission, Seigneur. Si j’étais parti plus tôt, j’aurais sans doute sauvé plus de gens.

Zan’nh n’avait pas voulu critiquer. Néanmoins, Jora’h se sentit coupable. Il avait tergiversé quand Nira avait imploré l’aide de la Marine Solaire. Il n’avait pas voulu gaspiller du temps et des ressources pour un problème dont il attribuait la responsabilité exclusive aux humains. Il aurait dû écouter Nira sur-le-champ. Elle lui demandait si peu, alors qu’il lui devait tant. Après ce que les Ildirans avaient fait aux cobayes de Dobro, les crimes et les secrets qui s’étaient poursuivis pendant des générations – aujourd’hui exposés, à sa grande honte ! –, il n’aurait jamais dû hésiter. Il avait une dette envers les humains qu’il ne pourrait jamais rembourser.

Discrètement, il dit à Nira :

— Dis-moi comment les aider au mieux. Doivent-ils rester sur Ildira ? ou rentrer sur Terre ? Tu sais que je ferai tout ce que tu me demanderas.

Le visage de Nira se durcit.

— Pas la Terre, et pas Ildira. Ces gens sont allés sur Cjeldre parce qu’ils espéraient entamer une nouvelle vie. Ils désiraient un foyer digne de ce nom. Pour cela, ils ont risqué tout ce qu’ils possédaient pour participer à la campagne de colonisation hanséatique des mondes klikiss.

La jeune Osira’h agrippa la main du Premier Attitré lorsque sept vedettes passèrent en sifflant au-dessus de leurs têtes, tout à leur ballet aérien. Elle opina avec énergie :

— Envoyez-les sur Dobro, père. Laissez-les rejoindre les colons humains qui se trouvent là-bas. N’est-ce pas juste, Daro’h ? Laissez-les bâtir leur colonie comme les passagers du Burton l’auraient voulu.

Jora’h perçut le frisson de Nira, mais elle acquiesça.

— Propose-le-leur. Cela aidera à refermer cette blessure, et commencera à changer l’image qu’ils ont de toi comme de tous les Ildirans.

Le Mage Imperator prit une longue inspiration.

— Oui, la blessure doit être guérie. Peut-être Dobro deviendra-t-il un nouveau départ, un endroit où humains et Ildirans vivront en harmonie. Ces colons peuvent aller là-bas et être libres, avec tout le soutien que nous pourrons leur offrir. Ainsi que cela aurait dû être depuis longtemps.

Le sourire qui éclaira le visage de Nira était sincère.

— C’est un bon début, Jora’h.

— À moins que les faeros ne viennent tout détruire, intervint Daro’h.

À la lumière du soleil, son visage couvert de cicatrices était rouge vif.

Tandis que les serviteurs et les fonctionnaires évacuaient les réfugiés de Cjeldre, Jora’h demeurait pensif. Voilà un long moment qu’il songeait à prendre une décision, mais aujourd’hui, il ne pouvait la remettre plus longtemps. Il devait reprendre le contrôle de la situation, si mauvaise soit-elle, avant que les humains s’en chargent. Afin de regagner leur confiance, il devait faire plus qu’offrir une terre à une poignée de réfugiés. Des siècles de tromperie coûteraient aux Ildirans de précieux appuis, et ruineraient peut-être toute alliance future avec les humains. Il devait faire amende honorable, rétablir les liens rompus.

— Dobro n’est qu’un premier pas, mais ce n’est pas assez, déclara-t-il. Tu le sais. Un geste symbolique tel que celui-ci ne peut pas tout arranger. (Il regarda Nira dans les yeux, puis jeta un coup d’œil à Osira’h.) Tu as révélé aux prêtres Verts le programme d’hybridation, Nira. Tu as partagé ton histoire et une partie de tes souffrances, mais l’explication ne vaut pas réparation. Il y a une chose que je dois accomplir. On ne peut ignorer ce qui s’est passé et espérer que les humains oublient. Ils n’oublieront pas.

Il n’eut aucune hésitation, même s’il savait que c’était pour elle qu’il agissait. Ce qui le surprit néanmoins fut que, contre toute attente, il se sentit en paix au fond de son cœur :

— Je dois rencontrer les dirigeants des humains, et admettre devant eux les actes commis par mes congénères pendant des générations. Je m’excuserai en leur nom, et alors seulement, j’espère que nous trouverons la rédemption. J’irai voir le roi Peter, ou le président Wenceslas, quel que soit celui qui convient, selon toi.

Les marchands Rlinda Kett et Denn Peroni lui avaient expliqué le schisme déroutant qui avait eu lieu au sein du gouvernement humain, entre la nouvelle Confédération et l’ancienne Ligue Hanséatique terrienne. Apparemment, cette dernière s’était murée dans l’isolement, pendant que la Confédération croissait en acceptant les différents « kiths » de l’humanité, des colons jusqu’aux Vagabonds en passant par les Theroniens tant chéris par Nira. Jora’h avait rencontré le président Wenceslas et avait passé du temps avec le roi Peter et la reine Estarra.

Le visage de Nira s’était illuminé avant même la fin de son discours. Le Mage Imperator annonça :

— Nous allons sur Theroc, le cœur et l’âme de l’espèce humaine. (Il étreignit Nira, et ce simple contact suffit à lui faire ressentir la joie qui habitait la prêtresse Verte.) Nous partirons aussitôt que possible.

Un essaim d'acier
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