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Roberto Clarin
Ruis, l’ancien maire de Crenna, craignait que la terrifiante révélation de Margaret ne sème la panique parmi les colons. Clarin, quant à lui, n’en avait cure :
— Par le Guide Lumineux, je ne laisserai pas ces damnées bestioles s’offrir ma carcasse au déjeuner ! On est des Vagabonds, des colons, des pionniers. Avec notre intelligence, on trouvera un moyen.
— J’aurais aimé que Davlin soit là, dit Ruis. Il nous a sauvés des hydrogues, et a empêché qu’on ne se retrouve congelés sur Crenna. Lui, il aurait sûrement une bonne idée.
— Mais puisqu’il n’est pas là, rétorqua Clarin d’un ton plein de sous-entendus, j’ai moi-même quelques idées. Peut-être est-ce aussi le cas d’autres personnes. Rassemblons tout le monde, histoire d’entendre les suggestions.
Une réunion communale s’organisa donc. Les colons étaient rongés de nervosité. Orli Covitz se tenait au côté de Marla Chan Tylar, et DD avait amené Margaret. UR, le comper Institutrice, surveillait les sept enfants sous sa garde.
Clarin avait grimpé sur le plateau d’un camion de récolte abandonné derrière l’enceinte. Il gesticulait et parlait en criant presque. La foule s’agitait, chacun voulant savoir ce qui allait advenir… même si personne ne s’attendait à de bonnes nouvelles.
— Je ne vous raconterai pas de blagues. Ça va mal, très mal. Mais ça ne signifie pas qu’il ne faut pas se battre. Nous devons agir avant que les Klikiss nous tuent tous.
Il dut dominer les exclamations de désarroi qui allaient crescendo, pour inviter Margaret à clarifier ses soupçons au sujet des Klikiss. Les paroles de la xéno-archéologue furent crues, impitoyables. Après son exposé des faits, une partie de l’auditoire s’effondra en larmes, tandis que d’autres serraient les poings et commençaient à chercher des armes. Clarin y vit un espoir. Il pourrait rallier ceux-ci à sa cause.
— Avant de partir, Davlin a creusé des caches d’explosifs, de carburant et d’armes à l’extérieur de l’enceinte, dit-il. On doit les retrouver tout en restant discrets. Les Klikiss ne nous prêtent pas attention, mais on ne sait jamais. (Il secoua la tête.) Peu importe ce qui arrivera : on peut encore faire basculer le sort de notre côté. On va montrer à ce spécex à la manque que les humains ne restent pas à ne rien faire en attendant que sonne la cloche du dîner. On va contre-attaquer, et quelque chose de bien, avec tout ce qu’on aura sous la main.
— Nous n’avons jamais cherché à faire des Klikiss nos ennemis, dit Ruis. Je l’admets, je n’ai pas cru qu’ils se retourneraient contre nous. Ça n’a aucun sens.
Dans la foule, la voix de Crim Tylar s’éleva :
— Merdre, nous les Vagabonds, on est habitués à être harcelés sans raison !
— Nous sommes également habitués à survivre aux situations impossibles, conclut Clarin avec un sourire macabre.
Les Klikiss avaient démonté des équipements et des structures de Llaro pour les réutiliser, mais en avaient négligé certains, laissant des amas de matériaux au rebut. Par chance, ils avaient délaissé le second Rémora, sans doute parce qu’il ne ressemblait pas à leurs machines volantes à armature visible. Le petit vaisseau militaire terrien avait été partiellement désassemblé, de sorte qu’à la tombée de la nuit Clarin et trois autres ingénieurs vagabonds se glissèrent au-dehors pour aller le réparer à la lueur de leurs torches. Le matériel des FTD était paradoxalement compliqué et inefficace, mais l’équipe de Clarin parvint à remonter les propulseurs et à mener autant de tests que possible dans un silence relatif, afin d’éviter d’attirer l’attention des veilleurs klikiss.
Surtout, ils réparèrent le système de communication à courte portée. Dans la pénombre du cockpit, éclairé par les voyants de contrôle jaunes et verts, Clarin transmit son signal :
« Davlin, Davlin Lotze… Répondez. Le maire a l’air de penser que vous pouvez faire n’importe quoi. J’ai entendu dire que vous étiez un ancien béret d’argent. Si c’est le cas – merdre, même si ça ne l’est pas –, aidez-nous. »
Il n’escomptait pas que l’autre soit assis en cet instant dans le Rémora qu’il avait emprunté, à attendre un signal. Cependant, le vaisseau gardait un registre des appels entrants. L’un des hommes du camp d’évadés devrait pouvoir le capter.
Clarin programma la diffusion en boucle du message toutes les demi-heures. Puis, avant que les Klikiss aient pu remarquer qu’il y avait de l’activité hors de l’enceinte, ses camarades et lui revinrent dans la colonie pour se préparer au dernier combat.