23
Osira’h
Le seul surgeon d’arbremonde d’Ildira se dressait vers le ciel, enraciné dans une masse difforme de bois calciné. Il arrivait à la taille d’Osira’h. Les feuilles étaient d’un vert pâle délicat, son mince tronc recouvert d’écorce dorée. Bien que la jeune fille ne soit pas une prêtresse Verte, le surgeon semblait l’appeler.
Elle avait amené ses quatre frères et sœurs afin qu’ils exercent leurs pouvoirs mentaux comme ils l’avaient fait avec leurs professeurs mentalistes sur Dobro. Pour progresser. Tous les cinq regardaient intensément l’arbuste qu’ils entouraient.
— Nous pouvons le faire, dit-elle. Nous avons le talent de notre mère et le thisme de nos pères.
— On a déjà essayé, rétorqua Rod’h.
Sa remarque n’était pas une plainte mais une simple constatation. Lui et Osira’h avaient presque le même âge, et il paraissait le plus intéressé par le lien avec la forêt-monde.
— Nous allons réessayer. Et nous réessaierons demain, et après-demain.
La préoccupation de Gale’nh, en revanche, reflétait son inclination pour la chose militaire :
— Je ne comprends pas l’objectif.
C’était la grande question.
— Il est de découvrir notre potentiel. Nous possédons un don inédit, j’en suis certaine. L’Empire a œuvré sur de nombreuses générations dans le seul dessein de nous créer.
Elle les balaya du regard, et ils se laissèrent gagner par son enthousiasme. Tamo’l et Muree’n étaient trop jeunes pour comprendre ce qu’elle essayait de faire, mais ils se joignirent gaiement à ce qu’ils pensaient être un jeu. Jouer était une expérience nouvelle pour eux.
Ensemble, ils tendirent la main vers le tronc. Osira’h caressa les feuilles pâles.
— Attention à ne pas le blesser, les avertit-elle lorsqu’elle vit Muree’n serrer trop fort.
Même sans télien, leur sensibilité au thisme permit aux hybrides de s’unir. Rod’h fondit son esprit dans celui d’Osira’h, d’une façon qui ressemblait à celle qui avait permis à sa sœur aînée de contacter les hydrogues. Leur thisme – mais peut-être le télien y jouait-il un rôle ? – formait un réseau restreint bien plus puissant que celui que les Ildirans partageaient.
Osira’h dirigea leurs pensées à l’intérieur du surgeon, comme Nira, sa mère, le lui avait appris ; d’abord dans les feuilles, l’écorce, le duramen, puis les racines. Le flot de souvenirs et de pensées qu’elle avait reçu de Nira, lorsque naguère elle lui avait ouvert son esprit, lui avait permis de canaliser la vengeance de la forêt-monde sur les hydrogues sans méfiance, via le surgeon, sa mère et son propre esprit…
Même s’ils étaient ennemis, verdanis et hydrogues avaient une base commune, car tous deux se fondaient sur un élément. Les arbremondes pouvaient également entrer en synergie avec les wentals, ainsi qu’ils l’avaient prouvé en formant les gigantesques vaisseaux-arbres. Nul doute que les faeros fonctionnaient de la même manière.
Mentalistes et lentils racontaient que l’univers était relié d’une manière que personne, pas même le Mage Imperator, ne pouvait appréhender. Osira’h pensait que, grâce à leurs liens particuliers au thisme ildiran et à leur mère, elle et ses frères et sœurs détenaient une clé. Non, elle le savait.
Les yeux fermés, elle remonta la piste mentale de l’arbremonde jusqu’à ses racines neuronales… et au-delà. Les autres enfants la suivirent. Elle s’attendait à une connexion brutale mais n’entendit que des murmures, des pensées lointaines et des voix spectrales : un vaste public, qui ignorait qu’on l’écoutait.
— Nous sommes proches !
— Je peux le sentir, dit Tamo’l.
— Continuez à vous concentrer, ajouta Gale’nh.
Ces éclats suffirent à déranger Osira’h. Elle oscilla sur ses pieds nus. Ils venaient d’avoir un aperçu fascinant de leur pouvoir. Elle avait l’impression que tous les cinq allaient bientôt trouver quelque chose de capital, quelque chose qu’aucun prêtre Vert ni aucun Ildiran ne pouvait comprendre, et cette idée la fit frissonner. Elle aiderait ses frères et sœurs à atteindre l’apogée de ce que leur permettait leur naissance exceptionnelle.
— Cette fois, nous avons presque réussi.
Rod’h cilla.
— Je vois ce que tu as en tête.
Épuisés mais excités, ils renoncèrent pour la journée. Tamo’l et Muree’n, impatients de passer à d’autres amusements, se levèrent, puis traversèrent le toit jusqu’au bord. Du haut de l’à-pic, ils contemplèrent Mijistra. Le regard de Gale’nh se porta alternativement sur Osira’h et sur son frère, en quête d’explications.
Osira’h frictionna ses tempes lancinantes. Mais même la souffrance ne parvenait pas à diminuer son euphorie.
— Demain, nous nous rapprocherons.