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Daro’h le Premier Attitré
Durris-B avait explosé de chaleur et de lumière, pour briller de nouveau dans le ciel ildiran. Le septième soleil n’était plus sombre et mort. Mais cela ne suscitait pas de joie pour autant.
Dix bolides ignés emplissaient les cieux ildirans comme autant de soleils vengeurs. L’air sentait la fumée et le sang brûlé. Dans le Palais des Prismes, Daro’h, les yeux fixés sur les baies du dôme de la hautesphère, demanda à ses conseillers quelle décision d’urgence prendre. Mais aucun d’eux ne savait quoi faire.
Voilà seulement une heure qu’un des vaisseaux éclaireurs était revenu de l’Agglomérat d’Horizon. Les nouvelles de l’équipage horrifié surpassaient les pires craintes du Mage Imperator lui-même. Dzelluria était calcinée, détruite, ainsi que trois autres scissions. Aucun survivant. Le Premier Attitré devait envoyer un message directement à son père, de sorte qu’il avait envoyé Yazra’h chercher Kolker. Le prêtre Vert utiliserait le surgeon qui se trouvait dans les serres suspendues du palais pour contacter par télien Theroc et rappeler le Mage Imperator sur Ildira.
Mais dans la ville au-dehors, Kolker et ses disciples avaient disparu dans les flammes. Dans les rues, les Ildirans s’affolaient, et leur terreur se répercutait dans le thisme. Daro’h la refoula et s’efforça de réprimer la panique. Son père absent, la charge lui revenait. L’Empire ildiran comptait sur lui.
— Que veulent-ils, Premier Attitré ? cria l’un des administrateurs.
Il leva les yeux vers la lumière éblouissante qui se concentrait tels des lasers à travers la hautesphère. Les courtisanes s’étaient retirées à l’intérieur du Palais des Prismes comme s’il pouvait leur offrir un quelconque abri, mais Daro’h savait que cela ne servirait à rien. Il avait vu quelles étaient les capacités de destruction des faeros et de l’Attitré fou.
Des gardes se précipitèrent dans la salle, leur katana de cristal brandi, prêts à mourir pour protéger le Premier Attitré. Mais ils auraient beau se jeter dans les flammes, cela ne le sauverait pas.
Yazra’h rejoignit Daro’h au pas de course tandis que la lumière dans le ciel s’intensifiait. Son visage était enflammé, sa chevelure humide de transpiration, ses yeux étaient brillants. Ses trois chatisix bondissaient autour d’elle. Sous le bras, elle portait un rouleau de tissu sombre qu’un marchand vagabond avait apporté de Constantin III.
— Si les affirmations de cet humain sont vraies, cette étoffe vous protégera de la chaleur. Mettez-la.
— Je ne vais pas me cacher des faeros sous une couverture !
— Mettez-la ! rétorqua Yazra’h, coupant court à toute discussion.
Le groupe de bolides ignés éjecta un halo brillant semblable à la couronne d’une tempête solaire, et l’une des tours du palais vola en éclats. Les gardes hurlèrent et les gens s’enfuirent pendant que des bris de cristal dégringolaient dans une cascade musicale. Daro’h sentit le thisme résonner lorsque près de cent Ildirans périrent dans cette seule attaque.
— Où sont Osira’h et les autres enfants ? Nous devons les garder sains et saufs.
— Nous devons tous vous garder sains et saufs, précisa Yazra’h. Je les ai déjà appelés.
Daro’h considéra les choix qui lui restaient. Le Mage Imperator était parti, et l’adar Zan’nh n’était pas encore revenu de Dobro, même si le jeune Ildiran doutait que la Marine Solaire ait les moyens de combattre les vaisseaux de feu.
— Je ne peux quitter le Palais des Prismes. Je ne peux abandonner mon peuple.
— Les faeros ne sont pas venus parlementer, mon frère. Ils ont seulement l’intention de détruire. Vous pouvez le constater.
Au-dehors, un bolide atterrit sur la place en face du Palais des Prismes. Sa chaleur produisit un cratère miroitant en faisant fondre la pierre, le métal et le verre alentour. Des flammes ondulantes de sa paroi émergea un homme, aux vêtements de feu et au sang de lave. Sa chevelure ondulait de volutes de fumée, et sa chair elle-même brûlait. Il s’avança à grandes enjambées, laissant sur le sol des empreintes fumantes. Rusa’h, l’Incarné des faeros. Il entra directement dans le palais, comme si ce dernier lui appartenait déjà.
Des boules de feu plus petites papillonnaient autour de lui comme des assisteurs, et des bolides volaient en cercle autour des dômes cristallins. Rusa’h fit éclater la porte et pénétra dans le couloir principal. La seule chaleur de son corps suffit à faire cuire les murs, et des baies vitrées éclatèrent. La pierre bouillonnait et se déformait. Il tendit les bras. Il émanait de lui tant de chaleur que le plafond même commença à s’affaisser. Un nouveau pas, et ses pieds s’enfoncèrent dans le plancher.
Osira’h entra avec ses frères et sœurs dans la salle d’audience.
— Il arrive ! L’Attitré fou est déjà dans le Palais des Prismes. Ne sens-tu pas ce qu’il fait par le thisme ?
Rod’h ajouta, éperdu :
— Nous avons dû nous couper du thisme et former une sorte de bouclier.
Yazra’h jeta l’étoffe ignifuge sur le Premier Attitré et le tira du chrysalit.
— Il n’y a aucun moyen de le combattre, Premier Attitré !
Elle esquissa un geste vers ses chatisix. Ceux-ci bondirent dans le couloir, les menant d’instinct vers un endroit sûr. Osira’h et les autres enfants coururent à leur suite.
Dans une tentative stupide pour intercepter l’Incarné en chemin vers la hautesphère, cinquante gardes chargèrent dans le couloir pour composer une barricade vivante, leurs armes brandies contre les flammes. Rusa’h se contenta de lever les mains, et un mur de feu déferla sur eux, les rôtissant dans leur armure avant que le flash les consume tous. Leurs rayons-âmes furent assimilés au réseau des faeros.
Dans un geste de loyauté tout aussi peu judicieux, des dizaines de serviteurs se jetèrent sur le corps ardent de l’ancien Attitré, prêts à tout pour retarder sa progression. Eux aussi périrent.
Deux autres faeros apparurent dans le ciel et s’approchèrent du Palais des Prismes. Rusa’h avançait à travers les couloirs tapissés de miroirs. Chacune de ses empreintes brûlait avant de durcir, laissant la trace évidente de son passage.
Tout en courant, Daro’h percevait l’écho de toutes ces morts. Le thisme sembla se distendre jusqu’au point de rupture. Il savait que le Mage Imperator sentirait cette agonie depuis Theroc, mais il se trouvait trop loin pour être d’une aide quelconque.