98
Sullivan Gold

— Tu as pris ton temps pour arriver ! dit Lydia.

— Moi aussi, je t’aime, répondit Sullivan, qui ne pouvait s’empêcher d’arborer un large sourire. (Il l’embrassa sur la joue.) Tu m’as beaucoup manqué.

— Bien sûr… As-tu la moindre idée du nombre de fois où j’ai songé à renoncer à te revoir et à me remarier ?

Il pressa le corps décharné de sa femme contre lui.

— Je n’y crois pas une seconde.

— Comme tu es mignon.

Ils se tenaient tous deux en bordure du terrain d’atterrissage, au milieu d’un ballet d’inspecteurs et de marchands. Le capitaine Roberts avait remis Sullivan à sa famille avant de prendre congé en hâte. L’éventualité que des journalistes puissent filmer son retour au pays l’effrayait. Il semblait détester les caméras.

Des appareils venaient d’atterrir sur des zones hautement sécurisées, d’où des véhicules de surface emportaient les cargaisons jusqu’à des plates-formes de distribution. L’air sentait le carburant brûlé, les vapeurs d’essence, les liquides de nettoyage et le pavage surchauffé : rien à voir avec Mijistra, mais il n’en avait cure. Ces odeurs familières suscitèrent en lui une bouffée de nostalgie qui lui fit monter les larmes aux yeux. Il les essuya d’un geste vif.

Un bruit de fond assourdissant régnait sur l’astroport : le trafic aérien, les machines de chargement, les annonces beuglées par haut-parleurs, les gens qui criaient… La famille de Sullivan se pressait autour de lui. Fils et filles, petits-enfants tout excités qui réclamaient son attention et le bombardaient de questions, impatients d’écouter les histoires qu’il avait à raconter. Il ne parvenait pas à entendre une phrase cohérente dans ce vacarme.

Après avoir reçu son appel, Lydia avait passé des coups de fil à ses enfants et petits-enfants et avait formé un convoi. Cette foule en liesse venue l’accueillir rendait Sullivan quasiment muet d’émerveillement. Il était littéralement assailli de baisers de bienvenue, de tapes dans le dos, d’enfants qui lui tiraient les manches. Il laissa sa joie éclater en regardant cette mer de visages souriants, même s’il était gêné de constater qu’il n’en reconnaissait pas un certain nombre.

— Bon, la famille s’est agrandie jusqu’à quelle taille, depuis mon départ ?

— Jusqu’à la bonne taille, répondit Lydia.

Tout le monde semblait si différent ! Cela faisait-il seulement un an qu’il était parti ? Entre-temps, beaucoup d’événements étaient survenus sur Terre. Était-ce Victor ? et là, Patrice ? Comment leur coupe de cheveux pouvait-elle avoir changé à ce point ? Il y avait de nouveaux petits amis et petites amies, deux mariages brisés, trois grossesses, et un douloureux décès : non pas à cause de la guerre des hydrogues, mais au cours d’une stupide panne de transport en commun. Trois de ses petits-fils avaient « fait leur devoir » en s’enrôlant dans les Forces Terriennes de Défense, séduits par la campagne de recrutement agressive. Sullivan n’était pas sûr de ses sentiments à ce propos. Il ne parvenait pas à les imaginer assez âgés pour une telle chose.

— C’est si bon de se retrouver chez soi. (Il embrassa sa femme sur la tempe ; il jouissait du simple fait de se tenir là, entouré des siens.) Tu n’as pas changé d’un iota. Tu n’as pas vieilli d’un jour.

— C’est parce que je me suis fossilisée bien avant ton départ.

— Je t’ai écrit vingt-cinq lettres, mais le Mage Imperator ne nous a pas laissés les envoyer. Et tu n’as pas eu celle que le prêtre Vert a transmise.

— Pratique, comme excuse.

Ses taquineries lui tirèrent une moue.

— Un peu de sympathie, s’il te plaît ! Tu n’imagines pas les épreuves que j’ai dû surmonter : les hydrogues ont détruit mon moissonneur d’ekti sous mes pieds, et les Ildirans nous ont maintenus en captivité parce que nous avions vu quelque chose que nous n’aurions pas dû.

— Quoi donc ? Trop d’Ildiranes toutes nues, je parie.

Ils étaient mariés depuis si longtemps que les piques de Lydia s’apparentaient plus à des marques d’affection qu’à de véritables critiques.

— Eh bien, chérie, je n’aurais pas tenté l’aventure sans cette réunion de famille où nous avons décidé que cela en valait la peine. Le paiement promis par la Hanse…

Il fut interrompu par un grognement de colère de Lydia, et l’inquiétude le prit.

— Le paiement ? répéta-t-elle. Ils ont changé les règles sitôt qu’on a eu rempli le formulaire de ton assurance décès.

— Tu as rempli le formulaire de mon assurance décès ?

— Eh bien, ils affirmaient que ton moissonneur d’ekti était détruit. Nous n’avons pas obtenu le moindre crédit, de sorte qu’ici ça n’a pas été une partie de plaisir non plus.

Il cligna des yeux, les jambes molles.

— Tu as rempli le formulaire de mon assurance décès ? Vraiment ?

— Ta plate-forme était détruite, et tu avais disparu. Qu’est-ce que j’étais censée croire : que tu avais appris à voler ?

— Je suppose que je ne peux pas contester ça.

Il avait hâte à présent de s’éloigner du vacarme du terrain d’atterrissage, c’est pourquoi il dirigea la petite troupe vers la voie piétonnière.

Jessica, l’une de ses petites-filles, le tira par la manche.

— Tu es riche, maintenant ? Grand-mère m’a dit que tu rapportais un coffre au trésor.

— Eh bien, je suis revenu avec quelques objets de valeur ildirans.

Il arborait un large sourire, mais l’expression de Lydia s’assombrit.

— Mieux vaut les cacher avant que la Hanse les confisque. Le montant des taxes d’importation s’élève à cinquante pour cent ou quelque chose comme ça.

S’efforçant de paraître optimiste, il répondit :

— Au moins ai-je la gratitude éternelle du Mage Imperator… Pour ce qu’elle vaut.

Les yeux de sa femme s’emplirent d’aigreur.

— Bien. Il faudra peut-être tous émigrer là-bas, si ça continue comme ça. Tu ne croiras jamais ce que le président…

— Silence, maman, intervint Jérôme, leur fils aîné.

Il jeta un coup d’œil inquiet alentour, comme si elle avait dit quelque chose de dangereux, comme si des micros-espions écoutaient chacun de leurs mots.

Sullivan eut un mouvement de recul.

— Que se passe-t-il ?

— Rien, rien ! dit rapidement Jérôme en tapotant le bras de sa mère. Tu la connais : s’il n’y a rien au sujet de quoi se plaindre, c’est une sombre journée pour elle. Peut-être irons-nous tous en vacances sur Ildira. Un jour.

Sullivan força Lydia à le regarder.

— Que se passe-t-il ici ? J’ai été coupé de tout. J’ai parlé à des Vagabonds et à d’anciens marchands de la Hanse, et aucun d’eux ne dit du bien du président Wenceslas. Est-il vrai qu’il a envoyé une flotte conquérir Theroc et s’emparer du roi et de la reine ? A-t-il réellement investi Rhejak ?

— Voici ce que je me contenterai de dire, Sullivan : tu as été sage de ne pas provoquer de raffut lors de ton retour. Pas d’interviews, pas d’annonce. Mieux vaut ne pas attirer l’attention sur toi. Je doute que le président apprécierait. Et il est bon que tu nous aies ménagé une porte de sortie, au cas où la Terre ne serait plus à l’avenir un endroit acceptable pour élever une famille… Tu aurais peut-être mieux fait de rester sur Ildira.

Un essaim d'acier
Couv.xhtml
Titre.xhtml
Dedicace.xhtml
AvantPropos.xhtml
Section0001.xhtml
Section0002.xhtml
Section0003.xhtml
Section0004.xhtml
Section0005.xhtml
Section0006.xhtml
Section0007.xhtml
Section0008.xhtml
Section0009.xhtml
Section0010.xhtml
Section0011.xhtml
Section0012.xhtml
Section0013.xhtml
Section0014.xhtml
Section0015.xhtml
Section0016.xhtml
Section0017.xhtml
Section0018.xhtml
Section0019.xhtml
Section0020.xhtml
Section0021.xhtml
Section0022.xhtml
Section0023.xhtml
Section0024.xhtml
Section0025.xhtml
Section0026.xhtml
Section0027.xhtml
Section0028.xhtml
Section0029.xhtml
Section0030.xhtml
Section0031.xhtml
Section0032.xhtml
Section0033.xhtml
Section0034.xhtml
Section0035.xhtml
Section0036.xhtml
Section0037.xhtml
Section0038.xhtml
Section0039.xhtml
Section0040.xhtml
Section0041.xhtml
Section0042.xhtml
Section0043.xhtml
Section0044.xhtml
Section0045.xhtml
Section0046.xhtml
Section0047.xhtml
Section0048.xhtml
Section0049.xhtml
Section0050.xhtml
Section0051.xhtml
Section0052.xhtml
Section0053.xhtml
Section0054.xhtml
Section0055.xhtml
Section0056.xhtml
Section0057.xhtml
Section0058.xhtml
Section0059.xhtml
Section0060.xhtml
Section0061.xhtml
Section0062.xhtml
Section0063.xhtml
Section0064.xhtml
Section0065.xhtml
Section0066.xhtml
Section0067.xhtml
Section0068.xhtml
Section0069.xhtml
Section0070.xhtml
Section0071.xhtml
Section0072.xhtml
Section0073.xhtml
Section0074.xhtml
Section0075.xhtml
Section0076.xhtml
Section0077.xhtml
Section0078.xhtml
Section0079.xhtml
Section0080.xhtml
Section0081.xhtml
Section0082.xhtml
Section0083.xhtml
Section0084.xhtml
Section0085.xhtml
Section0086.xhtml
Section0087.xhtml
Section0088.xhtml
Section0089.xhtml
Section0090.xhtml
Section0091.xhtml
Section0092.xhtml
Section0093.xhtml
Section0094.xhtml
Section0095.xhtml
Section0096.xhtml
Section0097.xhtml
Section0098.xhtml
Section0099.xhtml
Section0100.xhtml
Section0101.xhtml
Section0102.xhtml
Section0103.xhtml
Section0104.xhtml
Section0105.xhtml
Section0106.xhtml
Section0107.xhtml
Section0108.xhtml
Section0109.xhtml
Section0110.xhtml
Section0111.xhtml
Section0112.xhtml
Section0113.xhtml
Section0114.xhtml
Section0115.xhtml
Section0116.xhtml
Section0117.xhtml
Section0118.xhtml
Section0119.xhtml
Section0120.xhtml
Section0121.xhtml
Section0122.xhtml
Section0123.xhtml
Section0124.xhtml
Section0125.xhtml
Section0126.xhtml
Section0127.xhtml
Section0128.xhtml
Section0129.xhtml
Section0130.xhtml
Section0131.xhtml
Section0132.xhtml
Section0133.xhtml
Section0134.xhtml
Section0135.xhtml
Section0136.xhtml
Section0137.xhtml
Section0138.xhtml
Section0139.xhtml
Section0140.xhtml
Section0141.xhtml
Section0142.xhtml
Section0143.xhtml
Section0144.xhtml
Section0145.xhtml
Section0146.xhtml
Lexique.xhtml
Remerciements.xhtml
DuMemeAuteur.xhtml
Legal.xhtml
Club.xhtml
Colophon.xhtml