135
Yazra’h

Le Palais des Prismes brillait comme un soleil. Plusieurs dômes avaient déjà fondu. Les faeros semblaient être partout.

Les Ildirans avaient besoin d’un chef, même si le Mage Imperator n’était pas là. Daro’h connaissait son devoir : trouver un moyen efficace de lutter contre les flammes insatiables. Celui de Yazra’h était de le garder en vie.

Elle avait traîné le Premier Attitré hors de la hautesphère, avec tous ceux qu’elle avait pu sauver. Alors même qu’ils fuyaient, le dôme du terrarium s’était changé en une lentille, de sorte que toutes les plantes et les créatures volantes s’étaient ratatinées et avaient pris feu. Le surgeon qui se trouvait au sommet du palais avait été calciné dès le premier passage des bolides ignés.

Lorsque les croiseurs de l’adar Zan’nh contre-attaquèrent au moyen de jets d’eau, Yazra’h pressa ses compagnons d’accélérer le pas. Le seul fait de respirer suffisait à ébouillanter la gorge et les poumons. Dans leurs efforts pour atteindre l’extérieur, ils coururent à travers des passages miroitants, dégringolèrent des escaliers, traversèrent des couloirs à découvert. Les trois chatisix bondissaient à leurs côtés.

Daro’h, toujours drapé dans sa couverture ignifugée, demanda :

— Pourra-t-on gagner les croiseurs ?

— Je ne sais pas… mais nous devons quitter le Palais des Prismes.

Osira’h et ses frères et sœurs avaient les yeux fiévreux. Ils affirmaient avoir bloqué le réseau combiné thisme-télien qu’ils avaient appris à tisser, mais ils semblaient toujours unis d’une façon que Yazra’h n’avait jamais vue auparavant. Comme s’ils se concentraient sur quelque chose.

— Nous devrions aller là où convergent les sept fleuves, suggéra Osira’h. Nous serons peut-être à l’abri sous terre, près de l’eau… du moins, assez longtemps pour pouvoir rejoindre l’adar.

Yazra’h agrippa l’épaule du Premier Attitré et lui indiqua un autre passage.

— Oui, faisons cela. Par là !

Elle mena sa troupe jusqu’à une entrée voûtée. L’air de la salle sentait la chair brûlée. Chaque inspiration, chargée de la vapeur dégagée par le bombardement de la Marine Solaire, les faisait suffoquer. De dangereux débris de vitres jaunes et rouges gisaient çà et là.

Les faeros décrivaient un ballet dans le ciel en expulsant des panaches de flammes incurvés pareils à des éruptions solaires. Les croiseurs de l’adar continuaient à vider leurs réservoirs, dans l’espoir d’éteindre les bolides ignés. L’un d’eux tomba dans la ville, tel un charbon détrempé. Les yeux de Yazra’h la brûlaient dès qu’elle tentait de regarder le spectacle.

Des centaines de gardes avaient péri, incapables de résister à la chaleur. Yazra’h aperçut un escadron de jouteurs – des champions de tournoi –, qui affluaient pour affronter l’ennemi élémental. Les vigoureux athlètes avaient enfilé à la hâte leur armure-miroir et leur casque, et empoigné leur lance laser. Yazra’h s’était entraînée avec ces hommes et s’était mesurée à eux, de sorte qu’elle les considérait comme des amis. Elle connaissait leurs exceptionnelles capacités. Peut-être leurs armes seraient-elles efficaces là où les autres avaient échoué.

Un ellipsoïde faero piqua sur eux, et elle cria à ses chatisix de la rejoindre à l’abri sous le maigre abri de la saillie voûtée. Comme s’il s’agissait d’une couverture, Daro’h s’emmitoufla, avec Osira’h et les autres enfants, dans son étoffe ignifugée.

Les jouteurs brandirent leurs lances laser, envoyèrent une rafale de faisceaux fins comme des rasoirs, puis se protégèrent derrière leur bouclier-miroir. Certains hurlèrent tandis que le feu pénétrait par les jointures de leur armure. D’autres tinrent bon. Les rayons ricochèrent, inoffensifs, sur l’ellipsoïde, mais les boucliers dévièrent le gros de la chaleur.

Le temps que le bolide ait disparu dans un clappement, laissant des ondes de chaleur dans les airs, plus de la moitié des jouteurs avaient succombé. Leurs éléments d’armure gisaient en un tas étincelant. L’un des survivants cria d’une voix rauque :

— Partez, Yazra’h ! Emmenez le Premier Attitré !

Son groupe arriva enfin à la fontaine inversée : le spectaculaire confluent où les sept fleuves se jetaient dans un goulet puis dans des canaux chargés de redistribuer l’eau. Osira’h se pencha au-dessus du trou.

— On est déjà venus ici. On peut y arriver, si on saute.

— Faites comme dit Osira’h.

Yazra’h n’avait pas le temps de se répandre en questions. Ses chatisix sautèrent de la saillie, la fourrure hérissée, les babines retroussées. Daro’h laissa tomber son étoffe protectrice et s’avança pour aider les enfants.

Un avatar igné de l’ancien Attitré d’Hyrillka émergea alors du passage voûté. Un halo de lumière irradiait de son corps. Son éclat se réverbérait sur les panneaux cristallins du palais. Il affichait une expression calme et satisfaite, mais sa voix tonna :

— Où est Jora’h ?

— Mon père est à l’abri ! rétorqua Daro’h.

L’un des chatisix de Yazra’h sauta à la gorge de l’avatar. Rusa’h fit un simple geste, et les flammes autour de lui s’intensifièrent brutalement. Yazra’h cria comme son félin disparaissait dans un nuage de fumée. Les deux autres animaux feulèrent, mais la jeune Ildirane, le cœur lacéré par la tristesse, les repoussa derrière elle. Son visage se plissa de rage, mais elle ne sacrifierait pas sa vie inutilement.

— Osira’h, plonge, maintenant !

La fillette agrippa son frère Rod’h. Ils sautèrent ensemble par-dessus le bord de la chute mousseuse, dans le bassin en contrebas. Gale’nh, Tamo’l et Muree’n la suivirent sans tarder.

Rusa’h projeta des pointes de feu par les mains. Juste à temps, Yazra’h saisit le tissu ignifuge et le dressa devant elle, protégeant Daro’h, elle-même et les deux chatisix. Elle sentit les violentes vagues de chaleur, qui rendaient l’air irrespirable, percuter l’étoffe. Ses doigts roussirent et se couvrirent de cloques.

Les quelques jouteurs qui restaient étreignirent leur bouclier-miroir, adressèrent un rugissement de défi à l’Attitré fou, et dardèrent leur lance. L’un d’eux projeta la sienne dans le corps de flammes. L’Incarné des faeros se tordit, cria, fit éclater la lance de cristal avant qu’une onde de feu roulant cascade autour des jouteurs. Tous tombèrent. Même leur armure se révélait insuffisante face à une attaque de cette puissance.

— Dois-je donc les regarder tous mourir sans rien faire ? cria Daro’h.

Yazra’h le poussa sans douceur vers la chute d’eau.

— Non ! Vous devez les laisser vous offrir la chance de vous échapper.

Elle saisit à bras-le-corps ses chatisix et les jeta à l’eau. À l’instant où Rusa’h vomissait une nouvelle vague de feu sur elle, elle passa par-dessus la margelle et tomba dans le fracas brumeux. L’onde de choc la manqua de justesse et s’étala au sommet des flots convergents, créant un geyser de vapeur qui dissimula les fuyards.

Yazra’h tomba de plus de dix mètres, giflée par l’eau torrentielle, et plongea dans un bassin merveilleusement frais, où un fouillis de personnes et d’animaux s’efforçait de nager. Sa peau était brûlée, boursouflée de cloques. Ses cheveux étaient roussis. C’était à peine si elle parvenait à voir devant elle. Ses deux chatisix barbotaient pour se maintenir à flot.

— Par ici, appela Osira’h.

Ils suivirent le courant, traversèrent des catacombes en se cognant les uns aux autres, et aboutirent enfin dans un canal qui émergeait au pied de la colline arrondie. Loin de Rusa’h.

L’eau charriait les corps calcinés de pèlerins assassinés par les bolides ignés. Le canal s’élargit, et Yazra’h put tirer Osira’h et Gale’nh sur le rivage, éclaboussant de boue leur peau rougie. Daro’h sortit le communicateur qu’il avait emporté, et appela Zan’nh. La réponse fut aussi rapide qu’agréable :

« Nous vous avons localisés. J’envoie une vedette rapide vous prendre. Notre position devient intenable contre les bolides. »

Dans le ciel, alors même que la brillance des faeros augmentait, le croiseur de l’adar descendit, et Yazra’h repéra un minuscule appareil qui se dirigeait vers eux. Le temps que le cotre atterrisse, elle avait tiré tout le monde au sec, à travers les roseaux de la berge. Le Premier Attitré et elle, Osira’h et ses quatre frères et sœurs, ainsi que les deux chatisix survivants, s’entassèrent dans l’appareil. Effrayés, épuisés et brûlés. Mais vivants… Tous étaient vivants.

Le cotre resta au sol moins de deux minutes avant de retourner au vaisseau amiral, laissant derrière lui Ildira en feu.

Un essaim d'acier
Couv.xhtml
Titre.xhtml
Dedicace.xhtml
AvantPropos.xhtml
Section0001.xhtml
Section0002.xhtml
Section0003.xhtml
Section0004.xhtml
Section0005.xhtml
Section0006.xhtml
Section0007.xhtml
Section0008.xhtml
Section0009.xhtml
Section0010.xhtml
Section0011.xhtml
Section0012.xhtml
Section0013.xhtml
Section0014.xhtml
Section0015.xhtml
Section0016.xhtml
Section0017.xhtml
Section0018.xhtml
Section0019.xhtml
Section0020.xhtml
Section0021.xhtml
Section0022.xhtml
Section0023.xhtml
Section0024.xhtml
Section0025.xhtml
Section0026.xhtml
Section0027.xhtml
Section0028.xhtml
Section0029.xhtml
Section0030.xhtml
Section0031.xhtml
Section0032.xhtml
Section0033.xhtml
Section0034.xhtml
Section0035.xhtml
Section0036.xhtml
Section0037.xhtml
Section0038.xhtml
Section0039.xhtml
Section0040.xhtml
Section0041.xhtml
Section0042.xhtml
Section0043.xhtml
Section0044.xhtml
Section0045.xhtml
Section0046.xhtml
Section0047.xhtml
Section0048.xhtml
Section0049.xhtml
Section0050.xhtml
Section0051.xhtml
Section0052.xhtml
Section0053.xhtml
Section0054.xhtml
Section0055.xhtml
Section0056.xhtml
Section0057.xhtml
Section0058.xhtml
Section0059.xhtml
Section0060.xhtml
Section0061.xhtml
Section0062.xhtml
Section0063.xhtml
Section0064.xhtml
Section0065.xhtml
Section0066.xhtml
Section0067.xhtml
Section0068.xhtml
Section0069.xhtml
Section0070.xhtml
Section0071.xhtml
Section0072.xhtml
Section0073.xhtml
Section0074.xhtml
Section0075.xhtml
Section0076.xhtml
Section0077.xhtml
Section0078.xhtml
Section0079.xhtml
Section0080.xhtml
Section0081.xhtml
Section0082.xhtml
Section0083.xhtml
Section0084.xhtml
Section0085.xhtml
Section0086.xhtml
Section0087.xhtml
Section0088.xhtml
Section0089.xhtml
Section0090.xhtml
Section0091.xhtml
Section0092.xhtml
Section0093.xhtml
Section0094.xhtml
Section0095.xhtml
Section0096.xhtml
Section0097.xhtml
Section0098.xhtml
Section0099.xhtml
Section0100.xhtml
Section0101.xhtml
Section0102.xhtml
Section0103.xhtml
Section0104.xhtml
Section0105.xhtml
Section0106.xhtml
Section0107.xhtml
Section0108.xhtml
Section0109.xhtml
Section0110.xhtml
Section0111.xhtml
Section0112.xhtml
Section0113.xhtml
Section0114.xhtml
Section0115.xhtml
Section0116.xhtml
Section0117.xhtml
Section0118.xhtml
Section0119.xhtml
Section0120.xhtml
Section0121.xhtml
Section0122.xhtml
Section0123.xhtml
Section0124.xhtml
Section0125.xhtml
Section0126.xhtml
Section0127.xhtml
Section0128.xhtml
Section0129.xhtml
Section0130.xhtml
Section0131.xhtml
Section0132.xhtml
Section0133.xhtml
Section0134.xhtml
Section0135.xhtml
Section0136.xhtml
Section0137.xhtml
Section0138.xhtml
Section0139.xhtml
Section0140.xhtml
Section0141.xhtml
Section0142.xhtml
Section0143.xhtml
Section0144.xhtml
Section0145.xhtml
Section0146.xhtml
Lexique.xhtml
Remerciements.xhtml
DuMemeAuteur.xhtml
Legal.xhtml
Club.xhtml
Colophon.xhtml