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JORA’H LE MAGE IMPERATOR
Jora’h ne percevait l’équipage du croiseur solitaire nulle part dans le thisme, tandis que sa flotte l’entourait. Il craignait le pire et s’était préparé en conséquence. C’est ici qu’il l’arrêterait… quel qu’en soit le prix.
Voilà vingt-quatre heures que la cohorte restait postée au voisinage de Dobro. D’après l’ultimatum de Rusa’h, le Mage Imperator savait que ce dernier enverrait ses forces contre la scission d’Udru’h, qu’il s’agisse d’un croiseur ou d’une maniple entière. C’est pourquoi il se tenait prêt à tout.
Les vaisseaux courriers les plus rapides de sa flotte étaient parés à décoller, au cas où il recevrait – avec autant d’espoir que de crainte – la nouvelle qu’Osira’h avait amené les hydrogues sur Ildira. Si cela arrivait, il devrait revenir en toute hâte. Et ce, malgré la bataille sanglante qui menaçait.
Trop d’événements survenaient à la fois. Mais nul n’y pouvait rien.
De quelle manière l’Attitré de Dobro avait-il répondu à l’ultimatum de Rusa’h ? Jora’h aurait aimé en être sûr. Malgré ses promesses, il ne lui faisait guère confiance pour tout ce qui ne touchait pas à ses intérêts personnels. Peut-être l’Attitré essaierait-il même de jouer double jeu. Rusa’h lui-même se trouvait-il parmi l’équipage venu conquérir la scission ? ou Thor’h ?
Quitter le Palais des Prismes lui avait été pénible, surtout au moment où Osira’h tentait de communiquer avec les hydrogues. Tant d’autres crises agitaient le Bras spiral. Mais il devait mettre fin à cette ignoble rébellion, et restaurer l’ordre au sein de son empire.
Enfin, Tal O’nh, le commandant de sa cohorte, avait relayé un message des cotres qui patrouillaient en bordure du système.
— Un vaisseau en approche, Seigneur. Un unique croiseur lourd.
Un croiseur. Cela limiterait les pertes inutiles.
— Continuez, ordonna Jora’h.
O’nh avait ses instructions, et le Mage Imperator le laisserait agir à sa guise. Il était possible qu’Udru’h ait mené à bien son plan, si improbable soit-il, mais même s’il avait tenu parole Jora’h ne gardait que peu d’espoir quant à son succès. Selon toute probabilité, il n’aurait d’autre choix que d’empêcher le croiseur de nuire, puis de poursuivre jusqu’à Hyrillka.
Adar Zan’nh avait perdu le commandement de sa maniple, et Rusa’h l’utilisait pour répandre sa sanglante insurrection. Mais Jora’h était plus puissant que lui. Bien plus puissant.
— Tous les quls et les septars au rapport, annonça Tal O’nh. Armement paré.
Les systèmes offensifs cliquetaient, prêts à anéantir le vaisseau rebelle. Jora’h rassembla son courage. Même si les membres d’équipage étaient déconnectés de son thisme, il craignait d’éprouver la souffrance de leur mort. Les choses n’auraient jamais dû aller si loin.
S’il donnait l’ordre du massacre – quand bien même il s’agissait de rebelles –, son peuple porterait cette cicatrice à jamais. Les textes de la Saga le maudiraient. Il espérait qu’il existe un autre moyen.
Dans le thisme, le croiseur ressemblait à un vaisseau fantôme, même s’il transportait un équipage au grand complet. Puis il perçut deux présences, comme de minuscules chandelles dans la nuit – l’Attitré de Dobro et l’adar Zan’nh se trouvaient à bord ! Mais avaient-ils réussi ?
La radio du croiseur transmit les paroles que Jora’h désespérait d’entendre :
« Seigneur, ici Udru’h. L’adar et moi-même avons repris le contrôle du vaisseau. L’équipage est actuellement sous l’influence du shiing. Je pense qu’ils sont prêts pour vous. »
Avec un sourire soulagé, Jora’h accusa réception :
« Merci, Attitré. Je vais les guider jusqu’à moi. »
Au milieu du centre de commandement du croiseur amiral, il se raidit, et sa tresse se mit à tressauter alors qu’il fermait les yeux. Son statut de Mage Imperator lui conférait la connaissance des chemins menant à la Source de Clarté. Il déploya son esprit, saisit l’écheveau de rayons-âmes des membres d’équipage dévoyés, débrouilla les nœuds et les relia à son thisme.
Par la seule force de sa volonté, il les ramena sous sa coupe, un par un. Jusqu’au dernier.
Son fils aîné, l’adar et actuel Premier Attitré, se trouvait dans le centre de commandement du croiseur rebelle. Il avait cru que tout était perdu, mais à présent que le cœur et l’esprit des soldats corrompus avaient été reconquis le Mage Imperator ne doutait pas que l’adar restaurerait leur unité.
Il rouvrit ses yeux topaze et prit une longue inspiration. Sur l’écran de communication, le visage hâve de Zan’nh apparut.
« Seigneur, nous vous sommes redevables. Je désespérais de sentir de nouveau un jour la proximité du thisme. C’était comme si je tombais dans le vide pendant des jours… et voilà que vous m’avez rattrapé. »
Derrière son fils, les soldats à leur poste avaient l’air hébétés, mais ils recouvraient leurs esprits. Sur son croiseur, Jora’h les voyait comme d’infimes lueurs clignotantes, qui revenaient dans le thisme après une longue et pesante nuit. Il pouvait les guider, raffermir les liens qui les nouaient à son réseau mental. Mais il voulait qu’aucun d’entre eux n’oublie l’épreuve par laquelle ils étaient passés.
L’Attitré de Dobro se tenait au côté de Zan’nh ; un sourire impénétrable se devinait sous son masque respiratoire.
« Merci, Seigneur. Nous purgeons en ce moment même le gaz de shiing du système de ventilation. Avant peu, l’ordre sera totalement rétabli.
— Ainsi qu’il se doit, transmit Jora’h. L’équipage vous appartient de nouveau, Adar Zan’nh. Ils ont goûté le poison de Rusa’h. À présent, il faut l’utiliser pour reprendre le contrôle sur ce que mon frère a corrompu. »
Zan’nh posa son poing au milieu de sa poitrine en signe de salut, puis répondit, les yeux baissés :
« Seigneur, Thor’h a pris le reste de mes croiseurs pour conquérir d’autres mondes, pendant que Rusa’h siège dans un faux chrysalit sur Hyrillka, d’où il étend son réseau. (Il leva des yeux soudain étincelants.) Cependant, sans les croiseurs, Hyrillka elle-même est vulnérable, militairement parlant. »
Jora’h opina du chef.
« Adar Zan’nh, je vous accompagne en personne, mais cette cohorte est à présent sous votre commandement. Nous nous rendons sur-le-champ sur Hyrillka. Pour en finir avec tout cela. »