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JORA’H LE MAGE IMPERATOR
La force d’assaut terrestre de la Marine Solaire encerclait prudemment la colline, en vue de tenir un siège. Revêtus d’armures intégrales et portant les armes traditionnelles ildiranes, les soldats examinèrent les systèmes de défense de Rusa’h. Une épaisse fumée emplissait le ciel.
Udru’h arpentait le sol pavé, lorgnant d’un œil mauvais le palais-citadelle.
— Seigneur, nous avons plus qu’il nous faut de personnel et d’artillerie pour nous emparer du palais et capturer l’Attitré d’Hyrillka.
Sous bonne garde, Jora’h marchait à côté de lui.
— Je dois résoudre cette situation d’une façon qui prouve que je suis le véritable et légitime Mage Imperator, répondit-il. Si je me contente de massacrer ceux qui s’opposent à moi, vaudrai-je mieux que mon frère ?
Udru’h écarta la question, comme si la réponse s’imposait d’évidence :
— Vous valez mieux car vous êtes le Mage Imperator.
L’esprit de Jora’h toucha le thisme et perçut le vide silencieux, d’où son frère dément avait arraché ses gens. Jora’h ne pouvait se résigner à les condamner. L’Empire devait être réunifié, les Hyrillkiens revenir dans l’illumination de la Source de Clarté.
Avant que les préparatifs du siège soient achevés, les fidèles de Rusa’h poussèrent des acclamations, depuis le palais-citadelle. Jora’h leva les yeux vers l’un de ses septars, qui se ruait vers lui :
— Quarante-cinq croiseurs viennent d’arriver, Seigneur ! Ils sont dirigés par le Premier Attitré Thor’h.
— Ce n’est plus le Premier Attitré, répliqua Jora’h, la voix aiguisée par la colère. Un traître à l’Empire ildiran ne peut prétendre devenir le prochain Mage Imperator.
L’officier parut troublé.
— Avec le reste de la cohorte, nous sommes sept fois plus nombreux… mais ils n’ont pas ralenti. Vont-ils se rendre ?
Jora’h croisa le regard d’Udru’h, et tous deux en vinrent à la même conclusion.
— Non, Thor’h tentera de détruire autant de nos vaisseaux que possible. Avec quarante-cinq vaisseaux, tous équipés pour combattre les hydrogues, il peut nous causer de terribles dégâts. (Il ne sentait aucun rayon-âme provenant des vaisseaux en approche. Dans son réseau mental, le vide était semblable à une gueule noire bâillant pour les engloutir.) Nous sommes supérieurs en nombre, en effet. Nous tiendrons, et nous gagnerons.
Mais il savait que si ces vaisseaux déferlaient en déchaînant leurs armes, il ne pourrait en reprendre le contrôle assez vite, même si son thisme avait gagné en vigueur. Sa flotte serait obligée d’ouvrir le feu sur eux. Thor’h n’aurait de cesse d’attaquer jusqu’à ce que l’ensemble de ses vaisseaux soit détruit. Ce serait un massacre.
Udru’h se planta devant lui.
— Êtes-vous prêt à ouvrir le feu sur votre fils, Seigneur ? Allez-vous détruire ces vaisseaux ?
— Je ferai ce qui sera nécessaire… rien de plus. (Il se tourna vers le septar.) Rappelez Adar Zan’nh.
Entre-temps, il tâcherait d’étendre son contrôle sur les croiseurs rebelles, même s’il devait les prendre un par un.
— L’adar est déjà en route, Seigneur.
Les croiseurs volés de Thor’h fonçaient sur la cohorte disposée en formation défensive. Celle-ci avait activé ses boucliers, mais les attaquants projetèrent une telle quantité de missiles et de rayons énergétiques que plusieurs croiseurs furent endommagés. Les moteurs atteints et leur blindage déchiré en profondeur, trois d’entre eux quittèrent leur position, s’efforçant de ne pas s’écraser. Le premier parvint à atteindre le terrain d’atterrissage, où l’équipe brûlait toujours les ballots de shiing ; les deux autres vacillèrent puis allèrent s’enfoncer dans les champs irrigués, éparpillant boue et cendres avant de s’immobiliser.
Dans le désordre le plus complet, les appareils rebelles se jetèrent sur les croiseurs de la cohorte, tirant encore et encore. Ils attaquaient comme une meute de prédateurs harcelant un troupeau.
Les vaisseaux de la Marine Solaire réagissaient avec modération, tentant d’endommager les vaisseaux adverses sans les détruire. Leurs capitaines ripostaient avec mollesse. Thor’h saisit sa chance et ordonna de concentrer leur tir sur l’un des croiseurs. Ses quarante-cinq vaisseaux tirèrent, et le croiseur ne put résister : il explosa.
Jora’h sentit les centaines de membres d’équipage mourir, comme ils étaient projetés dans les airs et calcinés dans l’explosion. Le désarroi vibra dans le thisme telle une fausse note sur la corde d’un instrument de musique.
Via les rayons-âmes, Jora’h insuffla réconfort et détermination à son équipage. Il ne percevait pas les pensées de son fils mais devinait sa jubilation.
Avant que les vaisseaux convergent sur le palais-citadelle pour frapper les assiégeants, les trois cents croiseurs de Zan’nh revenus des champs de nialies s’interposèrent.
Alors que la bataille se déroulait au-dessus de sa tête, Jora’h lança au septar d’une voix sèche :
— Ordonnez à l’adar Zan’nh de faire capituler les rebelles. Qu’il me ramène Thor’h indemne.
— Vous espérez qu’ils baisseront simplement leurs armes ? demanda Udru’h. Rusa’h les a fanatisés. Ils n’entendront pas raison. Je vous enjoins de ne pas les sous-estimer.
Jora’h respira longuement tandis qu’il se concentrait.
— Je suis entouré par sept fois plus de soldats que Thor’h. Mon emprise sur le thisme est suffisante. Ma seule volonté suffit à présent pour remettre ces renégats sur le droit chemin.
Il ferma les paupières et étendit les doigts invisibles de son esprit sur la flotte rebelle, en quête de ceux qui lui avaient jadis appartenu. Lestement, il détacha leurs rayons-âmes, les attira vers sa lumière – et les renoua. Il s’occupa d’un soldat à la fois, un officier, un technicien, pont par pont, jusqu’à ce qu’il ait repris le contrôle d’un des vaisseaux de Thor’h et l’ait soumis à l’autorité de Zan’nh.
Avec la conversion de ce croiseur, la force du Mage Imperator s’accrut, et il se concentra sur le suivant. Mais il en restait tant !
Il perçut la résistance de Thor’h – une véritable muraille de diamant – et décida de l’affronter en dernier. Il lutta, et les croiseurs tombèrent l’un après l’autre, comme des dominos.
Chaque fois qu’un équipage revenait dans son giron, son thisme se renforçait, de sorte que bientôt Jora’h put poursuivre sans avoir à consacrer toute son attention à cette tâche.
Lorsque Thor’h se rendit compte qu’il perdait mystérieusement les vaisseaux de sa maniple, il réagit avec une violence désespérée. Avec son propre vaisseau et deux autres croiseurs, il quitta la formation et s’élança vers le terrain d’atterrissage sur lequel des soldats empilaient les stocks de shiing. Quatre vaisseaux de Zan’nh les poursuivirent, mais Thor’h accéléra, volant si bas qu’il risquait à tout instant de percuter le sol.
Les équipes au sol déchargeaient le dernier cargo, et les gigantesques amas de shiing partaient en fumée. Avec une incroyable cruauté, Thor’h bombarda les vaisseaux et les soldats de la Marine Solaire. En quelques instants, le terrain d’atterrissage se transforma en enfer ; les vaisseaux explosèrent l’un après l’autre, ajoutant à l’incendie géant. Les soldats couraient en hurlant, alors même que les flammes les consumaient.
Sans ralentir, les vaisseaux de Thor’h survolèrent comme des comètes les trois croiseurs échoués dans les champs calcinés et lâchèrent d’autres bombes par pure soif de destruction. Lancé à ses trousses, Zan’nh tirait sur le vaisseau du Premier Attitré, dans l’espoir de l’abattre. Mais en dépit des coups portés à ses propulseurs et à sa coque, celui-ci continuait à voler. Ses réserves de carburant et de munitions semblaient inépuisables.
Au sol, Jora’h essayait de reprendre possession du reste des vaisseaux rebelles ; la majorité était tombée entre ses mains, mais Thor’h et ses trois croiseurs poursuivaient leur massacre. Le Mage Imperator rouvrit les yeux et regarda Udru’h :
— Tu as raison, dit-il enfin. Trop d’Ildirans ont déjà perdu la vie. Nous ne pouvons plus attendre. Je dois supprimer cette menace. Maintenant.
Toujours concentré sur les derniers croiseurs, Jora’h remonta la colline en direction du palais-citadelle, flanqué de centaines de soldats armés. D’un geste, il indiqua à son frère de l’accompagner.
— Nous allons nous emparer de cette forteresse, dit-il en avançant à grands pas. Plus question de siège. Je suis le Mage Imperator, et j’exige la totalité de mon Empire.