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LE GÉNÉRAL KURT LANYAN
À peine vingt-quatre heures après le premier groupe de réfugiés ramenés sur Terre par Davlin Lotze, Rlinda Kett pénétra dans le système solaire. Elle n’avait pas atteint l’orbite de Saturne qu’elle transmettait une demande pour une réunion d’urgence. Elle lâcha la nouvelle aux vaisseaux éclaireurs venus à sa rencontre. Puis, avant que les pilotes manifestent leur incrédulité, elle leur transmit des images de la destruction de Relleker prises sur le vif.
Le général Lanyan, à bord d’un vaisseau de reconnaissance rapide, intercepta le Curiosité Avide. Il parla avec Rlinda sur une fréquence privée, tandis que son appareil pivotait autour de sa coque. Il parcourut son rapport, et seules les flammes de sa colère empêchèrent son cœur de se transformer en glace.
« Général, les hydreux ont gravi un nouvel échelon dans les hostilités contre la Hanse, aucun doute là-dessus, lui dit Rlinda. Ils ont annihilé Relleker par pure malveillance. Les gens là-bas n’étaient peut-être pas des saints, mais je les préférais aux hydreux.
— Merci, capitaine Kett, fit Lanyan avec son indéfectible rudesse. Je préviens sur-le-champ les amiraux des quadrants voisins pour en discuter. Nous allons monter une opération de sauvetage. »
L’imposante femme le fixa des yeux, puis, sans ambages, éclata de rire.
« Prenez la peine de regarder encore une fois les images, général. Vous feriez mieux d’apporter des pelles et des balayettes pour ramasser ce qui reste des colons de Relleker. Une opération de sauvetage ne servira à rien. »
Lanyan se hérissa.
« Comme je vous le disais, les amiraux et moi-même allons en discuter. Vous pouvez aller déposer vos passagers sur Terre. Davlin Lotze a fait préparer des logements temporaires aux environs du Quartier du Palais, où l’on s’occupera d’eux. Pour le reste, laissez-moi faire. »
L’amiral Tabeguache et l’amiral Antero se trouvaient dans le système solaire. Ils préparaient de nouvelles expéditions contre les Vagabonds. Sheila Willis, l’amiral du quadrant 7, qui avait été dépêchée sur les chantiers spationavals de la ceinture d’astéroïdes, fut facilement rappelée. L’amiral Kostas Eolus, le dernier à entrer dans la salle de conférences de la base martienne, était à peine remis de son voyage express à bord d’un petit vaisseau. Pour aller plus vite, il avait laissé sa flotte du quadrant 5 en pleine manœuvre.
Lanyan n’attendait personne d’autre.
— Commençons sans tarder. En tant qu’officier de liaison du quadrant 0, l’amiral Stromo devrait être là, mais il revient en ce moment même d’Yreka, et je n’attends pas son arrivée avant demain. Nous devrons nous passer de lui.
— L’aide du « pantouflard » nous manquera sûrement beaucoup…, persifla Peter Tabeguache à voix basse, avant de toussoter bruyamment.
— Je n’admettrai ici aucune insubordination ! le tança Lanyan.
— Bien sûr, mon général.
Mal à l’aise, Lanyan arpentait la pièce, l’œil rivé à ses officiers. La baie murale ouvrait sur un paysage rouge et un ciel olivâtre.
— Il paraîtrait que les hydreux ont botté les fesses d’une autre de nos colonies, mon général ? demanda Sheila Willis.
— Pas botté les fesses. Ils l’ont réduite en poussière.
Il passa les images transmises par le Curiosité Avide, qui montraient des orbes de guerre anéantir Relleker sans merci. Il avait pensé couper le son des appels désespérés du gouverneur Pekar mais décida qu’il valait mieux que ses officiers comprennent l’importance de la crise. Dans le silence abasourdi qui s’ensuivit, il déclara :
— Après examen, j’ai conclu qu’il n’y a plus rien à faire pour Relleker.
— Ne peut-on pas au moins envoyer une équipe d’analyse scientifique pour ratisser les ruines ? suggéra Haki Antero. Nous pourrions apprendre quelque chose.
— J’en doute fort, mais je suppose qu’il nous faut étudier toutes les propositions. Le président insiste là-dessus.
— Quelqu’un a-t-il une idée de la raison pour laquelle les hydreux ont attaqué Relleker en particulier ? questionna Antero. Parce qu’elle se trouvait près de Crenna ? Ou bien ont-ils frappé une colonie au hasard ? Qu’est-ce qui a déclenché leur colère ?
— Ce qui l’a déclenchée, Haki ? dit Willis de sa voix traînante. Voyons voir. Au cours des derniers mois, nous avons utilisé cinq Flambeaux klikiss contre leurs planètes. Maintenant, vous pouvez imaginer pourquoi ils veulent se venger ?
— Nous ne connaissons pas leurs motivations, la réprimanda Lanyan.
— Général, le fait que les hydreux soient des extraterrestres ne signifie pas qu’ils sont stupides.
Lanyan se sentait plus impuissant que jamais, avec cette suite de défaites sur Crenna et Relleker. Après Theroc, les hydrogues s’étaient concentrés sur leurs batailles contre les faeros. Mais Relleker était un tournant inédit : une cible spécifiquement humaine. Une indiscutable extermination.
— Excusez-moi, mon général, intervint Tabeguache, mais quelqu’un doit le dire… Nous avons bénéficié d’un répit ; cependant, à présent que les hydreux ont recommencé à frapper, ne ferions-nous pas mieux de rappeler nos cuirassés en mission contre les clans de Vagabonds ? Il faudrait sans doute se concentrer sur l’ennemi principal. Nous pourrons toujours revenir aux Vagabonds plus tard.
Les narines de Lanyan se dilatèrent.
— Faire plier les Vagabonds est probablement la seule victoire que l’on puisse espérer obtenir dans un délai raisonnable !
— Sans compter que, jusqu’à présent, lancer des vaisseaux contre les orbes de guerre n’a pas servi à grand-chose, ajouta Antero. Notre armement ne s’est guère montré efficace.
Le général serra les poings et arpenta la pièce de long en large. Les amiraux le regardaient bouillir en silence, attendant sa réaction.
— Bon sang ! lâcha-t-il enfin. Que je déteste me voir rappeler notre incapacité à nous défendre. Qu’est-ce qui empêche les hydreux de raser la Terre comme ils l’ont fait de Relleker ? Ils savent qu’il s’agit de la capitale de la Hanse. Ils y ont déjà envoyé un émissaire pour tuer le roi Frederick. Et si une bataille éclatait entre eux et les faeros dans les entrailles de notre soleil ?
Il remonta la table à la manière d’un prédateur, observant les amiraux comme s’ils pouvaient répondre à sa question.
— Nous avons un plan, dit l’amiral Eolus, au cas où ils viendraient jusqu’à la Terre, n’est-ce pas ?
Lanyan avait lu ledit plan.
— Oh ! sur le papier, il y en a un en effet. Mais vu que la Terre est de loin la planète la plus peuplée de la Ligue Hanséatique, je n’ai pas une confiance excessive quant à son efficacité… sinon pour occuper plusieurs milliards de personnes, pendant que les hydreux les massacreront.
Il se rassit lourdement. Tabeguache tambourinait des doigts sur la table.
— Songez à ceci, dit-il. Si les faeros eux-mêmes ne peuvent les arrêter, nous n’avons aucune chance d’y parvenir.
— Nous possédons une flotte de béliers, fit remarquer Sheila Willis. Les derniers rapports n’indiquent-ils pas qu’ils seront bientôt opérationnels ?
— Je viens d’ordonner de tripler les équipes des chantiers spationavals. Nous en avons besoin maintenant, et je les veux parés au lancement. Priorité maximale. Ils représentent notre seul moyen de résistance aux hydrogues. Les Ildirans ont déjà prouvé la valeur de cette méthode. Le temps est venu pour nous de faire de même.
— Ce n’est pas nous qui vous contredirons, mon général, dit Antero. Chacun d’eux sera doté d’un équipage complet de compers Soldats.
Lanyan était heureux de pouvoir au moins agir à ce niveau.
— Nous garderons tout de même quelques officiers, pour la galerie. La prochaine fois que les hydrogues se montreront, nous lancerons toutes nos forces contre eux.