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LE PRINCE DANIEL

Conformément aux instructions du président, OX se montra un maître impitoyable. Auparavant, il se contentait de harceler Daniel avec ses interminables souvenirs, ses histoires sur des gens morts depuis longtemps, ses siècles d’expériences ennuyeuses. Aujourd’hui, le prince haïssait le petit comper Précepteur.

Son corps ne cessait de l’étonner par toutes les souffrances qu’il lui infligeait – dans ses bras, ses jambes, son estomac, son dos… dans des muscles dont il n’avait jusqu’ici jamais soupçonné l’existence. Il n’avait jamais fait autant d’exercice, et OX ne manifestait aucune pitié. Comment un comper pouvait-il avoir la moindre idée de ce à quoi ressemblait une douleur musculaire ?

Ce régime draconien venait à peine de commencer, mais s’il se poursuivait Daniel savait qu’il en mourrait. Les exigences étaient insoutenables. OX l’obligeait à s’asseoir le dos parfaitement droit ; il ne lui permettait plus de se détendre, encore moins de s’avachir. Il devait prendre soin de son apparence… comme si quelqu’un pouvait le voir dans les chambres de torture du Palais des Murmures !

OX élaborait les repas en fonction de leur apport calorique, afin de le faire maigrir. Les plateaux se réduisaient à la portion congrue, et la nourriture était aussi dégoûtante que saine. Si Daniel faisait preuve d’impolitesse, OX renvoyait les gardes à la cuisine avec le déjeuner intact. Pourquoi diable les princes devaient-ils se montrer polis ? C’était aux gens d’être polis avec eux, non l’inverse ! L’estomac de Daniel gargouillait continuellement. Il n’avait jamais été aussi affamé, et il se languissait d’un dessert, ou même d’un minuscule bonbon.

Malgré son épuisement, il dormait à peine. Les princes étaient censés être choyés ! Sa colère était telle qu’il avait du mal à se concentrer sur ses études. Cependant, chaque fois que ses pensées vagabondaient, OX le faisait mettre debout jusqu’à la fin de la leçon, et récapituler point par point ce qu’il lui avait appris.

C’est pourquoi, au vu du sombre futur qui s’annonçait, Daniel décida de se révolter. Il devait montrer au président Wenceslas que ce n’était plus acceptable. Personne ne pouvait traiter le prince de la sorte. Entre deux leçons, il élabora une ébauche de plan.

Même si le président refusait qu’il apparaisse en public avant longtemps, on lui avait taillé des vêtements d’apparat ajustables à sa perte de poids à venir. Des stylistes lui avaient fabriqué des tenues de cérémonie multicolores, d’amples chemises d’étoffe luisante, de lourds bijoux, des bottes à revers de fourrure ; mais pour ses leçons quotidiennes, il portait des vêtements sans signe distinctif. Il espérait qu’ils conviendraient à son plan. Qui imaginerait qu’un prince s’habille de la sorte ?

Un soir, après que les gardes eurent apporté son maigre dîner, accepté son tiède remerciement et l’eurent laissé sans surveillance avec OX, Daniel entra en action. Le Précepteur discourait au sujet des changements institutionnels que l’ancienne présidente Maureen Fitzpatrick avait initiés au siège de la Hanse, en y ajoutant des souvenirs personnels. Sachant le peu de temps dont il disposait, le prince prit OX au dépourvu en se ruant sur lui. Il le poussa dans un placard, au milieu du fouillis qu’il avait ramassé dans sa chambre, puis bloqua le verrou. Celui-ci n’était pas électronique, et le garçon se rendit compte que le comper ne tarderait guère à le briser.

La voix d’OX lui parvint, amplifiée, de l’autre côté de la porte.

— Prince Daniel, laissez-moi sortir. Votre comportement est inadmissible. Le président ne va pas être content…

Daniel ouvrit la porte de sa chambre, vit que le couloir était libre. Les teintes pastel de ses vêtements – une chemise beige, un pantalon marron et des chaussures unies – n’attireraient pas l’attention. Il ne possédait ni carte d’identité, ni argent, ni armes. Mais il pouvait courir. Il improviserait en cas de nécessité.

Des lampes éclairaient les corridors. Malgré ses muscles douloureux, Daniel se précipita. Il ignorait sa position et ne possédait pas de plan du Palais des Murmures, c’est pourquoi il courut simplement droit devant lui, tourna dans un autre couloir et tomba sur une volée de marches ascendantes. Il devait se trouver en sous-sol, puisque aucune pièce ne comportait de fenêtre. S’il parvenait au rez-de-chaussée, il trouverait bien une ouverture sur la cour et les jardins.

Chaque fois qu’il entendait des pas ou un bruit de conversation, il changeait de chemin. En quelques minutes, il fut complètement perdu. Il n’aurait jamais pu revenir à ses appartements secrets, même s’il l’avait souhaité.

Il ouvrit une porte arborant le symbole de sortie, puis trouva un nouvel escalier. À mi-chemin, essoufflé d’avoir tant couru, il entendit que l’on descendait dans sa direction. Il se figea, se demandant où aller. Mais au lieu de gardes, trois agents d’entretien apparurent. Daniel ignorait ce qu’il devait dire mais, tout à leur conversation, les employés lui jetèrent à peine un coup d’œil. Arrivés sur le palier, ils disparurent par une porte. Daniel l’attrapa avant qu’elle se referme.

Il pénétra dans l’un des étages du Palais des Murmures. Naguère, il s’était plaint que le « visage bienveillant » de Peter soit affiché partout. Aujourd’hui, il se réjouissait que le sien soit relativement inconnu. Ainsi, il pouvait passer inaperçu parmi le personnel ; des milliers de personnes travaillaient chaque jour dans le Palais. Afin de paraître plus vieux, il se redressa de toute sa hauteur et tâcha de prendre un air affairé.

Enfin, il parvint jusqu’à une série de couloirs anonymes donnant sur les réfectoires et les salles de repos du personnel. Dans le réfrigérateur d’une kitchenette, il découvrit avec un frisson de plaisir un panier-repas. Il décida de se l’octroyer. Après tout, il était le prince, et son estomac criait famine après deux jours de régime sec.

Les plats emballés et la salade de fruits étaient curieusement épicés ; sans doute quelque cuisine d’outre-monde, mais Daniel n’avait guère le choix. Il dévora avec des coups d’œil furtifs alentour, sursautant chaque fois que quelqu’un passait à côté de la kitchenette. À chaque instant, l’alarme pouvait retentir. Dès que les gardes auraient découvert OX dans le placard, ils boucleraient le Palais. Il devait en sortir au plus vite.

Une foule défilait sans cesse dans les couloirs. Lorsque celle-ci s’intensifia, Daniel supposa qu’il s’agissait du changement d’équipes. Il se glissa nonchalamment parmi ceux qui semblaient fatigués ; bientôt, il émergea sur une terrasse en plein air. Voilà plus d’un an qu’OX le gardait cloîtré, et la vue du ciel le cloua de stupeur.

Mais il ne pouvait rester là, planté comme un idiot, à contempler les zeppelins touristiques flotter autour du Canal royal. Il descendit rapidement le vaste escalier et se mêla aux gens qui s’égaillaient. Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule puis fonça à travers l’immense place. Enfin, il se permit un sourire de triomphe en songeant au tapage que provoquerait sa fuite.

Soleils éclatés
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