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ADAR ZAN’NH
Les vaisseaux de la cohorte de l’adar, flanqués des navires recapturés, convergèrent sur Hyrillka puis descendirent en masse vers le palais-citadelle de l’Attitré rebelle.
Lors de ses voyages précédents avec Adar Kori’nh, Zan’nh avait admiré le paysage luxuriant, l’astroport pavé de mosaïques, les cours à ciel ouvert destinées aux fêtes, festivals et parades aériennes de la Marine Solaire. Depuis le retour de l’Attitré accidenté, l’astroport avait été étendu. Les structures ornementales, les statues et les treillages avaient laissé place à des tarmacs accueillant les vaisseaux et les camions-silos venus livrer le shiing.
Au-delà des limites de la ville, les grandes plaines étaient désormais tapissées d’une dentelle de canaux et de rigoles boueuses entrelacés, de sorte que les ouvriers puissent cultiver toujours davantage de plantes-phalènes productrices de drogue. Celles-ci utilisaient l’intégralité des terres arables, afin de perpétuer la conquête de Rusa’h.
À la barre de son croiseur, Zan’nh, les yeux ardents, surveillait la situation. Il faudrait de nombreuses années avant qu’Hyrillka, et une grande partie de l’Agglomérat d’Horizon, retrouve une vie normale.
Jadis ouvert, le palais-citadelle était devenu une forteresse. Des milliers de soldats fidèles à l’Attitré fou grouillaient sur la colline, prêts à se sacrifier pour défendre l’Imperator autoproclamé. Ils portaient des explosifs, des lance-roquettes et d’autres armes à projectiles dirigés vers leurs propres congénères.
Depuis son vaisseau, le Mage Imperator Jora’h transmit à l’adresse de Zan’nh :
« En vérité, nous vivons une tragédie. Préparez nos troupes à atterrir. Nous allons capturer Rusa’h et reprendre Hyrillka.
— Seigneur, intervint Udru’h au côté de Zan’nh, il serait plus efficace de raser le palais-citadelle depuis le ciel. (Il ne semblait guère perturbé par ce qu’impliquait sa suggestion.) Nous disposons d’assez de croiseurs pour cela.
— Nous trouverons un autre moyen, rétorqua Jora’h. Ces gens ont été victimes de mon frère. Comment leur refuserais-je la chance de revenir au sein de mon thisme ? Ils ont été abusés. »
L’Attitré de Dobro haussa les épaules.
« Ce sont des traîtres, Seigneur. Ils méritent le châtiment que vous jugerez bon. Nous devons d’abord éradiquer le mal, pour que le peuple puisse guérir.
— Je ne puis m’y résoudre. Il y aurait trop de pertes, des gens qui ne méritent pas de mourir. Je vais utiliser mes pouvoirs. »
Zan’nh regarda alternativement son père, dont l’image s’affichait sur l’écran, et son oncle à son côté. La suggestion de ce dernier lui faisait horreur, mais il se maudissait de ne pas avoir pris une décision semblable la première fois qu’il avait affronté Rusa’h. Il ne se sentait pas à même de donner une opinion.
Cependant, Udru’h ne désarmait pas :
« Seigneur, vous ne pouvez être partout à la fois. N’avez-vous pas envoyé Osira’h ouvrir le dialogue avec les hydrogues ? Vous devriez revenir sur Mijistra et l’y attendre. L’Empire traversera une crise bien plus grave si elle échoue. Votre temps ici est limité. »
Enfin, Jora’h répondit à voix basse :
« Je sais. Mes vaisseaux les plus rapides attendent l’instant où j’aurai des nouvelles d’Osira’h. Si elle ramène les hydrogues, je devrai partir… mais sa mission remonte à plusieurs jours. Je commence à craindre le pire.
— C’est Osira’h, Seigneur. Ne craignez pas encore. Mais si vous êtes obligé de partir, vous devez nous permettre, à l’adar Zan’nh et à moi-même, de faire le nécessaire pour mettre fin au thisme corrompu. »
Sur l’ordre du Mage Imperator, le vaisseau de Zan’nh et deux autres croiseurs survolèrent l’astroport. Au sol, les rebelles les prirent pour cibles. Zan’nh ferma les yeux, percevant les impacts des projectiles explosifs contre son blindage. Mais il n’hésita pas :
— Ripostez.
L’officier du poste d’artillerie le regarda.
— Vous voulez dire les tuer, adar ?
— Oui ! répondit Zan’nh en rouvrant brutalement les yeux. Supprimez la menace qu’ils représentent pour nos vaisseaux avant qu’ils les endommagent.
Rapidement, une salve d’armes énergétiques, tirée du croiseur de tête, vaporisa la poignée de combattants ennemis en contrebas. Zan’nh prit une longue inspiration puis déclara d’une voix aussi dure que l’acier :
— Maintenant, faites atterrir les vaisseaux et procédez conformément aux ordres du Mage Imperator.
Son croiseur descendit vers le tarmac sur lequel stationnaient plusieurs cargos remplis de shiing. Le vaisseau du Mage Imperator atterrit à côté du sien.
« Udru’h, débarquez et accompagnez-moi, transmit Jora’h. Je veux que les soldats des deux croiseurs me suivent. Nous allons encercler le palais-citadelle et le prendre d’assaut.
— Les proches de Rusa’h sont certainement plus étroitement liés à son thisme, avertit l’adar. Ils ne voudront peut-être pas être libérés.
— Dans ce cas, nos troupes n’auront d’autre choix que de les éliminer. Nous en sauverons autant que possible, mais, pour Rusa’h, je ne ferai preuve d’aucune clémence. Il est conscient de ses actes. Il paiera pour ses crimes.
— Quels sont mes ordres, Seigneur ? demanda Zan’nh.
— Prenez les croiseurs qui restent et détruisez le shiing. Intégralement. »
Adar Zan’nh envoya une équipe de démantèlement ouvrir les cargos. Puis soldats et débardeurs retirèrent les paquets de poudre de shiing, pour les entasser au fur et à mesure sur le tarmac.
— Brûlez-moi tout ça, ordonna Zan’nh.
Laissant son équipe achever la besogne, l’adar retourna à son vaisseau et joignit les croiseurs qui flottaient au-dessus.
— Rasez les champs de plantes-phalènes, et réduisez-les en cendres. Désormais, cette terre sera vouée aux seules cultures alimentaires.
Tandis que les croiseurs s’éloignaient de l’astroport, Zan’nh balaya du regard le centre de commandement. Ses officiers demeuraient sur la réserve et luttaient contre la culpabilité d’avoir été entraînés dans une folle rébellion.
— Prenez soin de ne blesser personne dans les champs. Nous avons déjà assez tué de gens. Beaucoup trop.
Les vaisseaux volèrent à basse altitude au-dessus du sol fertile, où des rangées de plantes-phalènes ondulaient à l’infini, leurs fleurs grandes ouvertes, leurs tiges enchevêtrées. En apercevant les énormes vaisseaux, les ouvriers hyrillkiens s’égaillèrent.
Zan’nh agrippa la rambarde de la plate-forme surélevée.
— Rayons en dispersion maximale. Utilisez assez d’énergie thermique pour ratatiner toutes ces nialies.
— Cibles verrouillées, adar.
Il se tourna vers son navigateur.
— Effectuez un survol lent et fluide, afin qu’aucun plant ne nous échappe. (Puis, au poste d’artillerie :) Feu à volonté !
Des rayons brûlants jaillirent du croiseur de tête, incendiant et recroquevillant les nialies. Les autres croiseurs l’imitèrent.
Les fleurs des plantes-phalènes mâles se détachèrent et s’élevèrent, se dispersant tels des papillons effrayés. Elles tourbillonnèrent, prises dans les courants ascendants qui les rabattirent vers les flammes. Dans le sillage des croiseurs, seules subsistaient des cosses noircies, des ceps carbonisés saillant vers le ciel comme des doigts squelettiques.
Les champs étaient si étendus qu’il fallut des heures aux trois cents bâtiments de guerre pour achever le premier passage. Zan’nh demeura inébranlable, tandis que de la vapeur s’élevait des canaux d’irrigation et qu’une épaisse fumée jaillissait des plaines dévastées. Ce spectacle de désolation lui rappelait l’attaque hydrogue qui avait eu lieu ici même, seulement un an plus tôt.
Mais il n’y avait aucun rapport entre lui et les maraudeurs extraterrestres. Il jeta un coup d’œil au champ de ruines.
— Continuez le tir.
Soudain, des capteurs sonnèrent l’alarme, et les satellites-sentinelles annoncèrent l’arrivée de vaisseaux de guerre ildirans. L’opérateur radar se tourna vers Zan’nh, les yeux écarquillés.
— Quarante-cinq croiseurs, adar. Ils avancent droit sur nous, leur armement paré, en formation d’attaque.
Zan’nh croisa les bras sur sa poitrine.
— Ainsi, mon frère est revenu avec la maniple qu’il a volée.
Étant donné le penchant de Thor’h pour la violence, il savait que la bataille serait l’un des épisodes les plus tristes et les plus sanglants de la Saga des Sept Soleils. Néanmoins, il s’autorisa un sourire, qui reflétait son calme et sa détermination. Son frère avait à répondre de beaucoup de choses.
— Rappelez les croiseurs des champs de nialies. Maintenant, nous sommes prêts au combat.