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JORA’H LE MAGE IMPERATOR
Les troupes de la Marine Solaire resserrèrent leur prise autour du palais-citadelle, bloquant toute voie d’évasion. Flanqué de ses gardes, Jora’h ouvrait le chemin vers la victoire. Mais, alors même qu’il s’efforçait de libérer leur esprit de l’illusion qui les retenait prisonniers, les rebelles ouvrirent le feu. Ses soldats n’eurent d’autre choix que de répliquer pour défendre leur chef.
La plupart des vaisseaux étaient redevenus loyaux au Mage Imperator. C’est alors que le croiseur amiral dirigé par Thor’h ainsi que deux autres bâtiments pivotèrent pour se lancer dans une attaque suicide, mitraillant de toute la puissance de leur armement.
Deux des vaisseaux de défense de Jora’h accusèrent le coup et durent se traîner jusqu’aux tarmacs de l’astroport. Profitant de la brèche, Thor’h fonça sur les troupes d’assiégeants qui progressaient vers le palais-citadelle, parmi lesquelles se trouvait le Mage Imperator.
Les croiseurs de Zan’nh s’interposèrent, mais dès qu’ils se furent approchés les deux vaisseaux rebelles s’écartèrent de celui de Thor’h et se jetèrent sur eux. Dans une épouvantable explosion, ils percutèrent les vaisseaux de la Marine Solaire les plus proches ; l’énorme nuage de fumée et de débris consécutif à l’impact enfla dans le ciel.
L’onde de choc assomma les troupes au sol. Jora’h se couvrit les yeux, déchiré de chagrin par la mort de tant d’Ildirans.
Les deux croiseurs ne s’étaient sacrifiés que pour laisser Thor’h atteindre sa cible. Son père.
Le croiseur amiral déchira le nuage de fumée et plongea en piqué, comme pour s’écraser sur le flanc de la colline. Le vaisseau de Zan’nh rugissait dans son sillage, tirant sans cesse sur ses moteurs. À l’ultime seconde, Thor’h redressa, afin de déverser ses dernières bombes. Puis il ouvrit le feu sur les troupes au sol, fauchant des dizaines de soldats.
Une succession d’explosions remonta la colline. Les gardes se jetèrent sur Jora’h, pour le protéger de leurs corps. L’Attitré de Dobro se mit de lui-même à l’abri. Les forces de soutien aérien arrivèrent, leur offrant une protection, mais une rangée de soldats tombèrent, comme des épis de blé sous la faux. Lors de son attaque finale, Thor’h usa de ses armes jusqu’à la dernière cartouche.
À terre, Jora’h regardait la bataille se jouer. Sur les talons de Thor’h, Zan’nh bondit en avant, comme s’il voulait rivaliser d’imprudence avec son frère. Le mugissement de ses énormes propulseurs couvrit les explosions de l’artillerie. Les deux croiseurs convergeaient l’un vers l’autre, comme deux astéroïdes sur le point de se heurter. Zan’nh ne se souciait visiblement plus de garder son frère en vie et semblait prêt à le balayer du ciel.
Thor’h dévia au dernier moment, de sorte que les deux vaisseaux géants ne firent que s’effleurer. Il y eut un hurlement de blindage torturé ; puis ils se séparèrent. Sans prêter attention aux dégâts de son croiseur, Thor’h parvint à se dégager, et à faire demi-tour pour achever son attaque.
— Seigneur, cria Udru’h, ordonnez à l’adar de détruire ce vaisseau sur-le-champ ! Il est impossible de sauver Thor’h.
Même sans arme, l’ancien Premier Attitré pouvait se jeter sur la colline et anéantir le Mage Imperator.
Jora’h se releva. La main en visière sur les yeux, il affronta le vaisseau qui le recouvrait de son ombre.
— Pas… encore.
Il serra les dents et ferma les paupières. Il concentra sa force sur la passerelle du croiseur de Thor’h et imposa sa domination : d’abord sur quelques officiers, puis sur tous. Il rapatria leurs âmes au sein de son thisme, comme il l’avait fait pour les autres vaisseaux.
Il atteignit Thor’h et s’efforça de l’arracher à sa rébellion criminelle. Mais son fils le bloqua, glissant entre ses doigts mentaux. Jora’h fut stupéfait. Il ne lui avait jamais connu tant de puissance et de détermination. Chancelant, il se retira et reconnecta les autres Ildirans à son thisme.
Soudain, dans le centre de commandement du dernier vaisseau rebelle, les officiers comprirent le crime qu’ils s’apprêtaient à commettre. Jora’h avait l’impression de voir par leurs yeux. En revanche, son fils était toujours un vide en lui. Frénétiquement, l’équipage changea de cap : le croiseur redressa en catastrophe, éraflant le toit du palais-citadelle. Puis les officiers libérés se retournèrent contre l’ancien Premier Attitré. Ils l’encerclèrent et s’emparèrent de lui, malgré ses braillements et ses ruades.
Pendant que la Marine Solaire était occupée à stopper la course suicide de Thor’h, l’Imperator Rusa’h en profita pour s’échapper. Sans crier gare, un appareil d’escorte royale jaillit de l’arrière-cour du palais, tel un obus tiré d’un canon géant.
Les soldats qui entouraient la citadelle se mirent à crier. Toujours méfiant, l’Attitré de Dobro empoigna la radio du soldat à côté de lui et lança sur la fréquence générale :
« Zan’nh ! C’est Rusa’h, il va s’échapper.
— Non, il ne réussira pas », transmit l’adar.
Les troupes de Jora’h parvinrent enfin au sommet de la colline. Elles investirent le palais et le reprirent aux derniers rebelles : les plus attachés au thisme hérétique de Rusa’h. Malgré la fuite de leur chef, ils continuèrent à se battre, la plupart au prix de leur vie. La mort dans l’âme, les soldats furent obligés de les tuer pour remporter la victoire.
Le Mage Imperator leva les yeux vers le ciel, où Zan’nh s’était lancé à la poursuite de l’escorteur royal. Si seulement Rusa’h pouvait être arrêté…