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ANTON COLICOS
Chaque pas les rapprochait de l’aube. Lorsque les survivants franchirent la crête de l’une des collines rocheuses, le spectacle de la splendide lueur pastel se répandant sur l’horizon leur apporta un brusque regain d’énergie.
Anton avançait en trébuchant, las et affamé au-delà de toute expression. Ils étaient à court d’eau et de nourriture depuis un moment, mais il y avait longtemps qu’il ne comptait plus les heures. Seule importait la distance entre eux et le soleil. Ensuite, ils devraient encore marcher jusqu’à l’oasis de Seconda, l’autre cité sous dômes de Maratha.
— Nous allons survivre, s’exclama Avi’h, enivré par la lumière. Suivez-moi, et je nous sauverai tous !
Après ce brusque accès d’autorité, l’Attitré hésita, comme s’il attendait qu’on lui indique la direction à prendre. Sans son assistant, son assurance n’apparaissait que par intermittence.
Anton savait que les Ildirans avaient besoin de se regrouper par dizaines pour sentir le lien du thisme et renforcer ainsi leur psychisme. Or, il n’en restait plus que quatre hormis lui-même, et il voyait poindre dans leurs réactions l’irrationalité et le désespoir. Ils ne se rétabliraient pas avant de retrouver leurs congénères.
Lorsque le petit groupe entra dans l’éclat du jour, chacun étendit les bras et tourna son visage vers le soleil, comme pour s’y abreuver. Le paysage était plat, sa monotonie seulement brisée par des canyons réduits à des lignes ombreuses dans la lumière rasante. Ils marchaient, encore et toujours.
Enfin, une lueur brilla à l’horizon : le miroitement des dômes, qui provoqua une explosion de joie chez l’ingénieur Nur’of et le terrassier Vik’k.
— En avant vers Maratha Seconda ! proclama l’Attitré Avi’h. Nous ne sommes plus seuls, les robots klikiss nous aideront là-bas.
Vao’sh s’arrêta au côté d’Anton.
— Lorsque nous avons visité Seconda la première fois, elle était plongée dans les ténèbres, se rappela le remémorant. Je n’ai jamais été aussi content de la voir.
— Il reste encore beaucoup de kilomètres à parcourir, avertit Anton.
— Mais elle est en vue. La fin de l’épreuve est à portée de main.
La véritable inquiétude d’Anton provenait plutôt de ce qu’ils allaient trouver dans la cité. Les coupables du sabotage de Maratha Prime étaient probablement plus tangibles que les Shana Rei, même si les légendes à leur sujet avaient un fondement réel. Le jeune homme se rappela le labyrinthe de profonds tunnels découvert par Nur’of. Ses soupçons se portaient sur les robots klikiss, malgré le fait qu’ils aient coexisté avec les Ildirans pendant des siècles. Qui d’autre cela pouvait-il être ?
Malgré le pressentiment funeste qui l’assaillait, ils n’avaient pas d’autre choix. Seconda était leur seul espoir. Ils avaient besoin de nourriture, de fournitures et d’un moyen de quitter la planète.
— Dépêchons-nous ! lança Avi’h en s’élançant d’un pas mal assuré, mais avec une force renouvelée. Une fois arrivés, nous serons sauvés.
Percevant les doutes d’Anton, Vao’sh baissa la voix :
— N’en parlez pas. Il ne faut pas qu’ils perdent confiance. À présent que nous avons réussi à fuir les ténèbres, leur peur des Shana Rei s’est évanouie. Laissez-les s’apaiser, avant d’évoquer d’autres terreurs.
Anton acquiesça à contrecœur mais décida de garder l’œil ouvert.
Tandis qu’ils approchaient de la cité secondaire, le soulagement fit presque perdre la tête aux Ildirans.
— Nous sommes libérés des ténèbres ! cria l’Attitré en se ruant en avant.
Nur’of et Vik’k le suivirent. Seul le vieux remémorant resta en arrière, avec Anton. Tous traversèrent le sol vallonné puis grimpèrent une pente douce aboutissant au périmètre de construction de la ville.
Le trio mené par Avi’h s’arrêta. Anton aida Vao’sh à atteindre le poste d’observation. Ensemble, ils contemplèrent la cité sous dômes.
Autrefois, celle-ci n’abritait qu’une poignée de robots klikiss. Mais à présent, elle grouillait littéralement de machines insectoïdes. Des milliers allaient et venaient, à la manière d’une armée de fourmis.
— Je ne pensais pas qu’il existait un tel nombre de robots klikiss dans le Bras spiral, murmura Vao’sh.
Durant la saison nocturne, les énigmatiques robots avaient œuvré à construire des édifices, à creuser des galeries. Anton aperçut de larges puits ouverts dans la croûte planétaire… identiques aux tunnels que Nur’of avait découverts sous Maratha Prime.
Anton avala péniblement sa salive.
— Et ils ont été sacrément occupés, dit-il.