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LE ROI PETER
Le lendemain du discours de repentance de Daniel, Basil se présenta à la porte de l’aile des appartements royaux.
— Venez avec moi, Peter, dit-il, un sourire froid aux lèvres. Il y a quelque chose que vous devez voir. Considérez cela comme faisant partie de votre formation continue.
Franz Pellidor se tenait à son côté, tel un gangster en costume, prêt à intervenir si Peter résistait.
La menace voilée fit sourciller ce dernier.
— Je préfère les méthodes d’OX. Il est programmé pour être professeur, et il possède plus de souvenirs que son crâne ne peut en contenir. Son expérience compte beaucoup pour moi.
— OX a permis au prince Daniel de s’évader, de sorte que ses talents d’instructeur me laissent dubitatif. Ceci va vous aider à apprendre les réalités politiques… et leurs conséquences.
Le président remonta le couloir d’un pas vif, ses chaussures vernies cliquetant sur les dalles polies. Il ne faisait aucun doute dans son esprit que le roi le suivait.
Sur un nouveau froncement de sourcils, Peter quitta ses appartements privés et marcha à côté de Pellidor, sans le gratifier néanmoins d’un seul regard. Ils cheminèrent le long de salles et d’escaliers déserts, jusqu’à atteindre une chambre d’infirmerie située à un niveau inférieur. La salle sentait le métal et le désinfectant. Au centre, le prince gisait sur un lit d’hôpital. Le garçon d’une grande pâleur, relié à une batterie d’appareils médicaux, semblait se trouver dans le coma. Ses joues s’étaient creusées, bien que Peter l’ait vu seulement la veille.
— Que s’est-il passé ? Un accident ?
— Oh, pas un accident : je vous assure que tout a été intentionnel.
Basil toucha les tubes d’intraveineuse puis se pencha pour fixer les yeux clos. Le faux prince n’eut pas un frisson.
— Après la stupide escapade de Daniel, la commission hanséatique s’est réunie en session d’urgence. Nous avons décidé à l’unanimité qu’il n’était plus possible de risquer d’autres incidents dus à son inconduite. Par conséquent, nous l’avons drogué. À partir de maintenant, nous le garderons dans cet état. Nous serons ainsi certains qu’il restera sous notre contrôle. (Ses yeux gris fixèrent Peter.) Trop d’erreurs ont été commises récemment, et je n’en tolérerai plus.
Peter laissa le silence s’éterniser ; une technique que Basil lui-même lui avait enseignée. Il savait exactement combien le président était dangereux. Finalement, il demanda :
— Pourquoi ne pas l’avoir tué, dans ce cas ?
— Parce qu’ainsi il représente un meilleur exemple, ne pensez-vous pas ? Je suppose qu’il sera toujours possible de le réveiller en cas de nécessité. Vous voyez, nous pourrions faire de même avec vous. (Il se redressa et s’écarta d’un pas du prince immobile.) Eh bien maintenant, pourquoi ne m’avez-vous pas dit que la reine Estarra était enceinte ? Je l’ai appris mercredi dernier, mais vous devez le savoir depuis au moins un mois.
Une onde glacée parcourut l’échine de Peter. Il maîtrisa son expression et se garda de démentir. Basil n’aurait pas abordé le sujet sans preuve. Peter savait qu’il valait mieux pour lui voir ce que son interlocuteur avait en tête.
Celui-ci arpentait l’infirmerie.
— Le couple royal est toujours surveillé, Peter. Nous avons prélevé plusieurs échantillons et vérifié les résultats. Mon premier soupçon remonte à notre voyage sur Ildira. D’infimes altérations de votre comportement. Vous croyiez que je ne faisais pas attention… mais je fais toujours attention. Nous avons effectué des tests supplémentaires dans vos appartements.
Peter ne pipa mot. Sa bouche était sèche, et il frissonna à l’idée que leurs instants les plus intimes étaient espionnés par la Hanse ; leurs cellules récoltées sur leurs draps, le cycle menstruel d’Estarra surveillé, leurs urines probablement recueillies dans les tuyauteries… Il trouvait cela répugnant.
Basil s’avança près de lui. Tout près. Peter avait mûri au cours des années, mais le président le considérait toujours comme un gamin des rues.
— Nous ne pouvons le permettre, vous le savez.
Peter désespérait de ne pas avoir pu envoyer Estarra sur Theroc avant que quelqu’un ait remarqué quoi que ce soit. Il s’efforça au courage et dit :
— Vous oubliez l’avantage que cela représente, Basil. Imaginez l’effet sur le public. Les gens vont adorer.
Le président resta de marbre.
— Et vous, vous oubliez un point fondamental. Je ne vous ai pas donné la permission.
Peter laissa ses épaules s’affaisser et soupira :
— Vous n’allez pas le croire, mais je jure que nous ne l’avons pas fait à dessein. C’était un accident, une surprise pour tous les deux. Peut-être qu’en ces temps de grande menace la nature a fait valoir ses droits pour perpétuer l’espèce.
Malgré son calme apparent, Basil semblait contenir une tempête de frustration, qui grossissait à chaque faute.
— Pas de sermon, Peter. Un jour, lorsque je l’aurai choisi et que je vous l’aurai permis, vous serez peut-être autorisés à avoir un enfant. Mais pas maintenant. Estarra va se débarrasser du fœtus avant que sa grossesse vienne à la connaissance du public. Avant peu, des médecins tenus au secret viendront en visite.
Le regard de Peter demeurait fixe. Il tâcha de réprimer la colère et l’horreur qui grandissaient en lui. Le président aurait pu sans peine forcer Estarra à avorter sans avertissement ; à la place, il retournait le couteau dans la plaie en s’assurant que le roi et la reine connaissent ses intentions.
Basil jeta au prince Daniel un regard éloquent, avant de conclure :
— Et veuillez ne pas me faire injure en imaginant que vous m’arrêterez.