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KOTTO OKIAH
À bord de l’épave hydrogue, Kotto n’avait pour seule compagnie que KR et GU, ses deux compers spécialisés dans l’analyse scientifique. En dépit de sa fascination pour la technologie extraterrestre, l’absence d’indice concernant son fonctionnement le frustrait. Il s’agissait d’un vaisseau, il devait donc exister une machinerie quelque part. Or, il n’avait trouvé aucun élément mobile.
— Un sacré casse-tête, GU…
— Oui, Kotto Okiah. Le terme paraît approprié.
C’était le petit comper qui, sans le vouloir, le lui avait fait adopter, lors de son premier compte rendu. Ses talents et ses années d’expérience dans des projets de haute volée n’avaient pas familiarisé l’inventeur excentrique avec ce mot. Peut-être parce qu’il n’avait jamais été confronté à un défi scientifique aussi déroutant. Un casse-tête, oui.
La sphère hydrogue flottait, telle une perle microscopique suspendue au cou d’Osquivel, largement au-dessus du plan des anneaux. Elle était abîmée. Son occupant avait été tué au cours de l’attaque intrépide des FTD. C’était apparemment l’une des seules victimes hydrogues de cette grande bataille.
— Le magasin de bonbons est ouvert, dit Kotto en frottant ses mains gantées l’une contre l’autre. Par quoi est-ce qu’on commence ?
Il aurait aimé pouvoir pressuriser l’artefact afin de travailler en bras de chemise, mais les systèmes de l’appareil demeuraient un mystère. Il ignorait même comment refermer l’écoutille. La verrouiller ne provoquerait pas de traumatisme au pauvre GU, à la différence de l’ouverture explosive qui l’avait naguère précipité sans avertissement dans l’espace.
— Il y a tant à apprendre…, murmura-t-il en contemplant l’intérieur de la coque, avec ses formes étranges et lisses, ses géométries inversées. Il faut trouver un moyen de battre ces vaisseaux.
— Nous vous aiderons du mieux que nous pourrons, Kotto Okiah, énonça KR depuis son poste. Toutefois, nos facultés se limitent aux analyses les plus simples.
— L’intuition reste l’apanage de nos maîtres humains.
L’ingénieur faisait les cent pas, engoncé dans sa combinaison. Il savait que la curiosité tous azimuts constituait l’une de ses faiblesses.
— Aidez-moi juste à ne pas m’éparpiller. Trouver un moyen de lutte contre les vaisseaux hydrogues : tel est l’objectif dont il ne faut pas me laisser distraire. Par exemple, j’aimerais découvrir leur système de propulsion. Les orbes de guerre sont rapides et ont un très long rayon d’action, sans pour autant avoir besoin d’ekti. (Il toucha les protubérances, comme moulées dans du verre fondu, qui constituaient le tableau de bord.) Et ces commandes ne ressemblent à rien de ce que j’aie jamais vu. Le seul fait de comprendre l’électronique de métal liquide noyée là-dedans ouvrirait des perspectives pour…
— Ce cas requiert-il de vous refocaliser sur notre objectif ?
D’abord surpris, Kotto se racla la gorge.
— Oui… tout à fait. D’un autre côté, mieux vaut faire preuve d’un peu de souplesse. Personne ne peut prévoir où mène le fil d’une réflexion. Il faut aborder les problèmes sous un angle neuf, comme on dit.
— Comme pour un casse-tête, glissa GU.
— Cesse donc de faire ton intéressant.
Kotto s’arrêta devant un panneau trapézoïdal entouré d’étranges symboles : des coordonnées semblables à celles des transportails klikiss. Se pouvait-il que l’espèce insectoïde disparue ait quelque chose en commun avec les hydrogues ? L’une d’elles avait-elle acquis cette technologie auprès de l’autre ?
Dans l’espoir d’établir un tel lien, Kotto avait passé en revue le peu d’informations scientifiques publiées dans la Hanse. Avant l’embargo commercial contre la Grosse Dinde, les Vagabonds avaient téléchargé tous les documents techniques disponibles sur le réseau. D’après eux, les scientifiques hanséatiques ignoraient comment les transportails fonctionnaient.
Il avait lu les rapports du couple de xéno-archéologues Margaret et Louis Colicos. Récemment, un chercheur discret mais réputé nommé Howard Palawu avait tenté d’analyser les téléporteurs extraterrestres. Il avait pour habitude de poster sur le réseau ses spéculations quotidiennes. Ses articles avaient cessé du jour au lendemain. Par la suite, Kotto avait appris que Palawu avait lui-même disparu au niveau de l’un des transportails.
GU s’approcha de Kotto, absorbé dans la contemplation du panneau.
— Vous avez encore la tête dans les nuages, Kotto Okiah.
— La tête dans les nuages ? Qu’est-ce que c’est ?
— Élaborer des pensées sans lien entre elles, se perdre dans une rêverie hors de propos avec la tâche en cours.
— Quelqu’un aurait-il mis à jour ton vocabulaire ?
— « Avoir la tête dans les nuages » est une expression commune, bien qu’archaïque. Voulez-vous connaître son origine ?
— Non. Tu as raison, j’étais distrait. (Il renifla.) Mais si on parvenait à utiliser les transportails des orbes de guerre, on pourrait ouvrir un passage vers… un trou noir. Ce serait sensationnel ! Les hydreux rôderaient à la recherche de stations d’écopage à détruire… et brusquement, un trou noir émergerait en plein milieu de leur salle à manger. Ah !
— Ce serait certainement nuisible aux vaisseaux ennemis, admit KR. Cependant, cela paraît improbable.
De son poing ganté, Kotto frappa une excroissance sur la paroi de diamant incurvée.
— Je n’ai encore rien découvert ! Les hydrogues sont tellement… étrangers. Leur esprit a conçu cette technologie. C’est ce qui rend leur entendement si compliqué.
Les capteurs dorés de GU pivotèrent vers lui.
— Alors, peut-être une solution simple se révélerait-elle plus efficace qu’une approche complexe.
— GU, si je pouvais songer à une solution simple, je le ferais, répondit Kotto. La seule chose que l’on ait réussi à faire jusqu’à présent a été d’ouvrir le sas.
Soudain frappé par une idée, il fixa des yeux le comper cabossé, au revêtement éraflé et décoloré à la suite de l’ouverture de la brèche dans la sphère. Le robot avait été projeté au loin, en une trajectoire incontrôlable… Le visage de Kotto s’illumina.
— Par le Guide Lumineux, ça va peut-être convenir ! Cela fonctionnerait comme une… une sonnette. Ou un ouvre-boîtes ! Tout ce qu’il nous faut, c’est ouvrir la porte là où les hydreux s’y attendent le moins.
— Vous avez enfin trouvé une arme ?
— Pour ça, oui !