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MAUREEN FITZPATRICK

Grâce à l’influence qu’elle avait conservée depuis ses années de présidence de la Hanse, Maureen Fitzpatrick avait pu très vite monter une expédition commémorative sur Osquivel. Cela afin d’honorer le souvenir de son petit-fils Patrick, tombé au champ d’honneur… et celui de ses camarades, bien sûr.

Elle avait réussi à se faire octroyer une Manta ancien modèle ; même si celle-ci n’avait pas été déclassée, elle ne possédait pas l’armement ni le blindage des croiseurs de dernière génération. Composé en outre de vaisseaux diplomatiques à l’équipage réduit et peu porté au combat, le convoi était impressionnant – et digne de faire la une des informations. Nul ne devait oublier le massacre d’Osquivel.

Ses consultants lui avaient proposé de laisser sur place une balise lumineuse en guise de monument en l’honneur des vaillants soldats des Forces Terriennes perdus au cours de la pire bataille – jusqu’à présent – de la guerre des hydrogues. Sa proposition préférée consistait à installer une ceinture de miroirs le long des anneaux de la géante gazeuse, qui les feraient scintiller comme un halo. Une fois cette première mission revenue sur Terre, Maureen recueillerait des fonds pour un monument aussi coûteux qu’époustouflant.

Comme le convoi approchait de son objectif, Maureen convoqua les familles sur la passerelle, afin qu’elles aient un meilleur spectacle de la planète où leurs enfants bien-aimés avaient été tués. Habillés en uniforme de service actif, Conrad et Natalie Brindle se placèrent à son côté, aussi immobiles que des figures de proue. Les autres familles contemplaient Osquivel avec, déjà, des larmes dans les yeux.

Cependant, Maureen fut stupéfaite de voir le champ de bataille grouillant de Vagabonds.

— Ils sont partout, madame la présidente, dit le capitaine de la Manta. Des vaisseaux et encore des vaisseaux, des installations complètes. Je détecte des hauts-fourneaux et des chantiers de construction.

— Un nid de rats ! s’exclama Maureen. Donnez-moi une meilleure vue.

Le capitaine glapit des ordres à ses officiers radar. Des caméras zoomèrent sur des architectures artificielles, des vaisseaux qui voltigeaient, frénétiques. L’envergure de l’endroit était incroyable, une véritable plaque tournante des clans hors la loi.

— On dirait des corbeaux sur un champ de bataille, lança Conrad Brindle, la voix vibrante d’indignation. Ils ont dû venir récupérer les débris de nos vaisseaux.

Sa femme serra son bras comme dans un étau.

— Quelle abjection ! Est-ce qu’ils ont fouillé les poches des dépouilles, aussi ?

Une vague de colère et de dégoût traversa les familles venues rendre un dernier hommage à leurs défunts.

Les éclats lumineux de multiples explosions n’échappèrent pas à l’acuité de Maureen.

— Ce n’est pas une activité ordinaire. Quelque chose se passe, là-bas. Une espèce de bataille ?

— Qui peut être sûr avec les Cafards, madame la présidente ? demanda le capitaine.

— Passez-moi la radio, dit-elle d’une voix habituée à donner des ordres. Trouvez-moi les fréquences qu’ils utilisent, et laissez-moi parler à quelqu’un.

Elle attendit en fulminant, puis s’annonça et exigea de savoir ce qui se passait. Une voix bourrue lui répondit :

« Ici Del Kellum, responsable des chantiers spationavals. En ce moment, on a un léger problème sur les bras, m’dame. (Il marmotta un juron puis lança une rapide série d’ordres par radio, avant de se retourner vers Maureen.) Pour répondre à votre question avant que vous la posiez : nous avons en effet une poignée de survivants, que nous avons sauvés des débris de votre flotte. Vous pouvez nous aider à nettoyer le bazar, ou partir et nous laisser régler tout ça seuls. Mais quoi que vous fassiez, ne me faites pas perdre de temps ! »

— À qui diable croit-il parler ? dit Conrad Brindle.

— Des survivants ? cria l’un des parents. Ils ont des survivants ! Demandez leurs noms.

— Au moment opportun, répondit Maureen, avant de se tourner vers la console centrale. (Bien que le capitaine soit l’officier le plus gradé du vaisseau, il ne songerait pas à contester ses ordres.) Capitaine, votre croiseur dispose d’assez d’armes pour une action de police, n’est-ce pas ?

L’homme eut un geste de dédain.

— Contre une poignée de sales Cafards ? Bien sûr, madame la présidente.

Les radars cartographiaient les chantiers et les débris errants. Maureen fixait les écrans tandis qu’ils approchaient.

— C’est une véritable ville secrète. Comment ont-ils pu monter ces structures en un si court laps de temps ?

— Ils ont vu une occasion et se sont précipités, dit Natalie Brindle.

— Vautours ! lança son mari. Mais ils ne s’en sortiront pas comme ça.

Maureen vint se placer derrière le capitaine et réfléchit, les yeux plissés.

— Nous allons secourir les prisonniers des Forces Terriennes. Officiellement, les clans de Vagabonds sont de dangereux hors-la-loi. Cela suffit à justifier que nous ramassions ceux-là et les ramenions dans la Hanse.

Conrad se rembrunit.

— Votre retenue est louable, madame. S’il ne tenait qu’à moi…

— Vous avez raison, capitaine de corvette Brindle, l’interrompit Maureen. Cependant, un décret de la Hanse stipule que toute installation des Vagabonds doit être placée sous juridiction militaire, leurs biens et ressources, confisqués afin de contribuer à l’effort de guerre et leurs membres, placés en détention à fin d’interrogatoire. Imaginez les informations que nous obtiendrions en les questionnant énergiquement.

Le capitaine fit décoller ses escadrons de Rémoras. Les intercepteurs fondirent sur les chantiers d’Osquivel plongés dans le chaos où modules cramponneurs, navettes et cargos se croisaient dans des trajectoires erratiques.

Maureen rappela Kellum.

« Les Forces Terriennes de Défense acceptent votre reddition totale et inconditionnelle. Que vos compatriotes et vous-même vous teniez prêts à être embarqués à notre bord. »

Lorsque la réponse lui parvint, elle perçut des cris et des tirs d’armes légères en arrière-plan :

« Ne soyez pas ridicule ! Nous sommes trop occupés pour ce genre d’idiotie ! Les compers Soldats ont pété les plombs.

— S’il arrive du mal à vos prisonniers militaires, avertit Maureen, nous procéderons à des représailles extrêmement sévères.

— Alors, venez les reprendre, m’dame. Ici, nous perdons pied. Vous n’aurez bientôt plus personne à capturer. »

L’escadron de tête dut s’éparpiller quand un cargo d’approvisionnement quitta son orbite pour foncer sur eux. Deux minéraliers à pleine charge, eux aussi pilotés par des compers, allèrent frapper l’une des rades de construction.

— Je ne crois pas qu’ils mentent, dit Natalie Brindle.

La radio crépita, et Kellum reprit la parole d’un ton impatient.

« Il y a quelqu’un avec qui vous voudrez parler. Je lui ai donné la permission, histoire de mettre les choses au clair entre vous – mais cessez de vous tourner les pouces ! »

Une voix retentit sur la ligne :

« Madame la présidente ? Mon nom est Kiro Yamane, expert civil auprès des Forces Terriennes de Défense. (Dans le groupe réuni sur la passerelle, un vieil homme poussa un cri de joie.) Moi et trente autres survivants sommes détenus dans les chantiers spationavals des Vagabonds. Nous avons été bien traités. Les compers Soldats ont été reprogrammés mais se sont transformés en une armée de destruction. Monsieur Kellum dit la vérité. Nous aurions besoin de l’assistance des FTD tout de suite. »

Maureen hocha la tête à l’intention du capitaine de la Manta.

— Notre priorité est que les prisonniers soient relâchés.

Elle se tourna vers l’écran.

« Monsieur Yamane, rassemblez les vôtres. En échange de notre aide, nous exigeons une capitulation sans condition. Sinon, les Vagabonds se débrouilleront sans nous. »

Un nouvel astéroïde-entrepôt explosa dans un nuage de carburant vaporisé. À bord du croiseur de Maureen, les familles échangeaient des paroles pleines d’espoir. Le père de Yamane pleurait de joie, tandis que les autres réclamaient le nom des autres captifs.

— Nous les aurons bien assez tôt, répondit Maureen en imposant le silence d’un geste.

Elle ne se laissa pas aller à espérer que son petit-fils fasse partie des prisonniers. Yamane avait indiqué que seuls trente et un d’entre eux avaient survécu. Un pourcentage infime, par rapport aux présumés morts dans la bataille.

Des modules cramponneurs et des navettes évacuaient les chantiers, tandis que les Soldats poursuivaient leurs ravages. Maureen savait que les Vagabonds n’avaient d’autre choix que d’accepter son marché.

— Ne tolérez aucune résistance, dit-elle à son capitaine. Aucune plainte. Embarquez-les et désarmez-les. Nous les tenons. Ils n’ont pas le choix.

La voix de l’un des opérateurs radar s’éleva :

— Nouveau vaisseau en approche rapide, capitaine. En provenance des confins du système solaire.

— C’est un orbe de guerre ? cria l’un des parents. Les hydrogues sont de retour ?

— Sûrement un vaisseau des Cafards. Il tournera les talons dès qu’il nous aura vus.

Le vaisseau arrivait avec la vitesse acquise par son propulseur interstellaire. Les radars longue portée de la Manta indiquaient une armature réduite à sa plus simple expression, un cargo utilisé pour transporter des conteneurs d’ekti.

Un appel résonna sur la fréquence générale :

« Ici le commandant Patrick Fitzpatrick III, des Forces Terriennes de Défense. J’ai jeté un coup d’œil, grand-mère, et on dirait que vous avez les yeux plus gros que le ventre.

— Patrick ! Tu es en vie.

Manifestement, grand-mère. Je suis revenu vous offrir un moyen de sortir de cette pagaille.

— Cette pagaille ? (Maureen reprit le contrôle de ses émotions.) Merci, Patrick, dit-elle froidement, mais nous avons la situation en main.

— Non, grand-mère. Et si vous ne m’écoutez pas, vous perdrez la plus belle opportunité que la Hanse aura jamais. J’ai à vous soumettre une offre que vous ne pourrez refuser. »

Soleils éclatés
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