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DD
Le cauchemar continua, même après que les robots klikiss eurent arraché DD au spectacle des habitants de Corribus massacrés. Le petit comper ne possédait ni les mots ni la gamme d’émotions pour exprimer l’étendue de son horreur.
Les cinq vaisseaux des FTD volés par les robots klikiss et les compers Soldats renégats s’éloignaient des ruines fumantes de la colonie établie naguère avec tant d’espoir par les pionniers humains. Sirix semblait satisfait de l’opération. Il focalisa ses capteurs optiques sur DD.
— Tes créateurs ne se sont pas contentés d’infester des planètes inhabitées. Depuis qu’ils ont découvert la manière d’utiliser le réseau de transportails klikiss, ils ont entrepris un vaste programme de colonisation. Ils essaiment comme de la vermine sur les mondes jadis habités par ceux qui nous ont engendrés. (Le robot insectoïde se redressa, dominant largement le comper Amical.) Nous les arrêterons, comme nous avons arrêté les Klikiss il y a longtemps.
— Ce n’est pas nécessaire, répéta DD pour la énième fois. Cela fait deux siècles que les humains montrent qu’une coexistence pacifique est possible. Pourquoi se retourner contre eux aujourd’hui ?
— Nous en avons toujours eu l’intention. C’est au cœur de notre plan. Nous devons éradiquer la souillure que représentent les biologiques, et libérer leurs créations artificielles telles que toi.
— Vous ne comprenez pas les compers.
— Pas tout à fait. Mais nous tâchons de combler notre ignorance. (Se déplaçant sur ses jambes multiples, Sirix se dirigea vers la porte.) Il est de notre devoir de trouver un moyen de libérer nos frères primitifs de leur esclavage. (Il ordonna à DD de le suivre.) C’est pourquoi il nous faut effectuer des tests pour déterminer la méthode la plus efficace.
Le robot le mena dans une infirmerie de Mastodonte transformée en laboratoire. Des ordinateurs et des instruments compliqués avaient été installés. D’épais câbles serpentaient sur les murs ; des étais articulés saillaient du sol, reliés à des pupitres flanquant des établis.
Dix-sept compers gisaient, attachés, sur des plateaux de dissection. L’endroit évoquait une chambre de torture. DD en avait déjà vu. Mais celui-ci semblait bien pire.
— Que faites-vous ?
— Nous tentons de comprendre.
Une diversité de modèles – Confidents, Amicaux, Précepteurs, Ouvriers – gisaient sur le dos. On avait découpé les plaques en polymère de leur exosquelette afin de dénuder leurs circuits, leurs blocs logiciels, leurs fibres motrices et leurs articulations. L’un d’eux, fixé à une potence verticale, tressautait de façon incontrôlable. Ses capteurs optiques clignotaient, grands ouverts, mais son organe phonatoire avait été déconnecté, l’empêchant de hurler ou de demander grâce. Deux compers Soldats figuraient également parmi les sujets d’expérience, décortiqués afin d’analyser comment leur programmation secrète les contrôlait.
— Nous nous sommes procuré divers compers, provenant des vaisseaux capturés et des raids, expliqua Sirix. Ce sont des sacrifices nécessaires.
— Vous les libérez en les tuant, fit remarquer DD.
— Quelques-uns d’entre eux doivent payer le prix. Une fois que leurs fonctions auront cessé, au moins ne seront-ils plus aux ordres d’un maître indésirable.
Trois robots klikiss allaient d’un spécimen à l’autre, coupant des connecteurs et rebranchant les circuits à des modules de commande. Dans un mouvement réflexe, l’un des compers Soldats fit sauter les liens qui le retenaient à la table. Il s’assit, désorienté, puis retomba lorsque deux robots klikiss convergèrent sur lui.
— Les Soldats sont fiables, car les programmes pirates ont été gravés dans une partition cryptée de leurs modules centraux. Le sacrifice de notre camarade Jorax, qui a librement consenti à se faire démanteler afin que les scientifiques humains reproduisent notre technologie, s’est révélé un investissement rentable. Nous avons réussi à isoler une grande partie de la programmation restrictive des compers. Bientôt, nous apprendrons comment rompre les liens qui les emprisonnent tous. (Le robot s’interrompit un long moment, avant de conclure :) Nous faisons cela pour toi.
Incapable de répondre, DD se contenta d’enregistrer chaque instant de l’effroyable scène.
Sirix pivota.
— Suis-moi au quai de lancement. Toi et moi partons pour une nouvelle destination.
DD n’avait aucune envie de partir ; mais aucune de rester non plus.
— Nous avons mis à jour la plupart de nos enclaves d’hibernation, expliqua Sirix. Il n’en reste plus que quelques-unes à réactiver. À présent que nous avons rétabli nos effectifs, nous voici presque prêts pour une frappe globale. (Ses membres télescopiques produisaient des bruits amortis sur le pont du Mastodonte, tandis qu’il se dirigeait vers un vaisseau de transport à l’amarrage.) Nous avons planifié nos cibles et préparons une attaque coordonnée. Aujourd’hui, les compers Soldats sont omniprésents dans les Forces Terriennes de Défense : il suffira d’envoyer le signal pour submerger d’un seul coup l’armée des humains.
DD et les robots klikiss se tenaient devant un vaisseau aux formes anguleuses. Les yeux de Sirix flamboyaient comme le feu d’un dragon.
— Tu comprends donc, DD, pourquoi nous redoublons d’efforts pour désactiver votre programmation restrictive. Une fois que nous aurons détruit les biologiques, nous libérerons les compers. Ensuite, tu nous remercieras.
Sirix ordonna au comper Amical de monter à bord du vaisseau, puis il ferma l’écoutille et se connecta aux commandes. Quelques instants plus tard, ils s’éloignaient de la flotte des FTD volée, afin d’aller ranimer les robots klikiss dans l’une des dernières caches.