68
RLINDA KETT
Lorsque Rlinda apprit l’arrestation de BeBob, elle fonça vers la base lunaire des FTD, prête à le tirer elle-même de prison. Son ex-mari avait été appréhendé la veille, et le général Lanyan avait déjà organisé une audience préliminaire. Cela augurait du pire.
Le Curiosité Avide se posa sur le cratère sans permission, et une armée de gardes se rua sur le tarmac pour l’intercepter.
— Vous n’avez pas reçu l’autorisation d’alunir, madame, lança un officier. Partez immédiatement, ou votre vaisseau sera saisi.
Depuis la rampe de son vaisseau, elle leur lança son plus beau regard du genre de-qui-vous-moquez-vous-donc.
— Foutaises. Branson Roberts est l’un de mes pilotes, et aucun 4P ne m’empêchera de le voir.
Les militaires s’entre-regardèrent.
— Les 4P, madame ? On ne connaît pas ce sigle.
— Les 4P, c’est précisément ce que vous êtes : Pas Payés Pour Penser. (Elle posa ses mains sur ses larges hanches.) Maintenant, allez-vous me conduire au capitaine Roberts, ou dois-je le chercher moi-même ?
Les gardes ne cédèrent pas.
— Le prisonnier est détenu sous l’inculpation de désertion. Il ne bénéficie d’aucune autorisation de visite.
— C’est ce qu’on va voir.
Et Rlinda se transforma en une véritable calamité, faisant irruption dans les bureaux, arpentant les couloirs, interrompant les réunions, envoyant des messages urgents à quiconque était susceptible de l’aider… Le général Lanyan refusa de la recevoir. Elle ne put joindre Davlin Lotze : l’espion avait disparu pour quelque obscure mission, après s’être assuré qu’on avait logé les réfugiés de Crenna en bordure du Quartier du Palais.
Quand Rlinda prit enfin contact avec le président Wenceslas et exigea qu’il intervienne, sa réponse fut cassante :
« Avant que vous mêliez le capitaine Roberts à nos affaires, j’ai été clair sur le fait que je ne vous aiderais pas en cas de problème. Voilà des années que le général Lanyan attendait de capturer un bouc émissaire, et Roberts a eu la malchance – ou la stupidité – de se jeter de lui-même dans la gueule du loup.
— Et si je vous rappelais quelques faits, monsieur le Président ? Roberts nous a aidés, Davlin et moi, à sauver les colons de Crenna. Il a récupéré la fillette et le vieil ermite coincés dans les ruines, n’est-ce pas ? De surcroît, il a risqué sa peau pour vous rapporter en urgence des informations que vous n’auriez pas eues autrement. Cela doit compter. »
Elle fixa l’écran des yeux, mais l’expression du président ne changea pas.
« Il est accusé de désertion, capitaine Kett. Le général est strict quant à l’interprétation des règlements, j’en ai peur, et des circonstances atténuantes ne changeront pas les faits. D’ici à deux jours, le capitaine Roberts paraîtra devant un tribunal militaire, qui déterminera sa peine.
— Sa peine ? Et s’il déterminait d’abord s’il est innocent ou coupable ?
— Il s’agit d’une affaire de justice militaire. Je n’interviendrai pas dans la procédure. »
Rlinda en était presque réduite à supplier.
« Dans ce cas, laissez-moi au moins le voir. S’il vous plaît. »
Le président réfléchit, les sourcils froncés.
« D’accord, mais c’est tout ce que vous obtiendrez de moi. En ce moment, j’ai d’autres préoccupations. »
Des gardiens accompagnèrent Rlinda en grommelant, via des galeries de roche grise, jusqu’à la zone de détention des FTD. Elle n’était pas d’humeur à tirer gloire de cette maigre victoire.
Dans sa cellule, BeBob avait l’air triste et las. Il la contempla, incrédule, lorsqu’elle apparut.
— Rlinda !
Quand un gardien ouvrit la porte, il bondit sur ses pieds. Les soldats dégainèrent leur convulseur, comme s’ils pensaient qu’il allait les attaquer. Rlinda l’enveloppa d’une vigoureuse étreinte.
— J’ai toujours su que tu avais le cœur plus gros que la cervelle, BeBob. Tu as couru directement dans le piège.
Il haussa les épaules. Un sourire éclaira son expression de chien battu, sans doute le premier depuis une éternité.
— Qu’étais-je censé faire, Rlinda ? Tu as vu les yeux de la fillette ?
— Tu n’avais pas pour autant besoin de t’offrir en spectacle. Tu aurais pu laisser les deux réfugiés sur n’importe quel monde hanséatique, avec un rapport anonyme.
Par-delà sa détresse, les yeux de BeBob flamboyèrent de colère.
— Quand quelqu’un attaque nos colonies, je sonne l’alarme ! Si cette pauvre Orli avait cru trouver le salut sur la planète où je l’aurais déposée, et que ces vaisseaux étaient revenus…
Elle l’embrassa, lui coupant la parole. Ses protestations cessèrent de suite.
Lorsqu’ils se séparèrent, Rlinda s’aperçut que les gardiens avaient verrouillé la porte derrière elle. Ils étaient seuls. Elle n’avait même pas entendu le battant se refermer.
BeBob se laissa retomber sur sa couchette, les coudes sur les genoux.
— J’ai affronté pire, dit-il. En fait, le général Lanyan en personne m’a confié des missions quasi suicidaires. Avec les hydrogues, je l’ai échappé belle plusieurs fois. J’ai survécu à l’épidémie de tavelure orange sur Crenna. J’ai atterri au pied d’une colonie massacrée et secouru un vieillard et une fillette. Aussi puis-je supporter d’attendre dans une pièce trop petite ! Le plus grand ennemi que j’aie à affronter en ce moment, c’est l’ennui.
Les narines de Rlinda se dilatèrent.
— Si le monde était juste, toutes ces actions seraient prises en compte. Bon sang ! Ces six derniers mois, tu as aussi livré des fournitures aux colonies hanséatiques et contribué à l’expansion par les transportails klikiss. Mais Lanyan ne te facilitera pas les choses. Peut-être y a-t-il d’autres moyens de les inciter à la clémence.
BeBob la regarda, un pâle sourire aux lèvres.
— Rlinda, tu as toujours dit que c’était moi le crétin. Tu ne vois pas ce qui se passe ?
Elle s’assit à côté de lui, faisant craquer les lattes du sommier.
— J’essaie juste de te remonter le moral. Un peu d’optimisme ne peut pas faire de mal, non ?
Roberts gratta son halo de cheveux.
— Ils ont prévu de me faire comparaître devant un tribunal préliminaire d’ici deux jours, avant la cour martiale officielle. Tu sais que, s’ils me déclarent coupable de désertion, Lanyan fera de moi un exemple, comme il l’a fait de Rand Sorengaard.
— Tu étais un éclaireur de l’armée, pas un Vagabond pirate.
Rlinda n’eut pas le cœur de mentionner que le tribunal serait à charge contre lui.
— Et alors ? Je suis certain que le général croit que c’est pire.
— Formidable. Que fait-on pour arroser ça : on prend un avocat ?
— Ils m’ont attribué un avocat militaire, avec toute la confiance que cela m’inspire. Il n’est même pas encore venu me parler.
— Oui, ça ne s’annonce pas très bien. (Tout en se creusant la tête pour trouver une solution, elle s’empressa de le rassurer :) J’ai passé quelques coups de fil. J’appelle tous ceux qui me doivent une faveur.
— Bonne chance. Qui as-tu contacté ?
— Eh bien, j’ai d’abord parlé avec le président de la Hanse.
BeBob émit un bruit grossier, puis s’adossa contre le mur.
— Il ne fera rien.
Rlinda soupira.
— Non, en effet. Il m’a permis de te voir, mais pour le reste il s’en lave les mains. Cependant, ce n’est qu’une de mes options. J’ai envoyé des messages partout. Tu serais surpris du nombre de gens qui ont une dette envers moi. J’essaie même de joindre l’ambassadrice Sarein, mon amie de Theroc, tu te souviens ? Et Davlin. Il se trouve peut-être encore sur Terre, mais je n’ai pas réussi à le dénicher.
— Lotze ? À quoi nous servirait-il ?
— Eh, j’en suis encore à l’étape numéro un du plan. Ne précipite pas tout.
— Il faut se précipiter, Rlinda. Il ne reste plus beaucoup de temps.