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KOTTO OKIAH

Kotto n’avait pas l’habitude de douter. Mais cette fois, la possibilité d’une erreur liquéfiait son estomac. Toutefois, il ne pouvait laisser passer la chance de mettre sa théorie en pratique. C’est pourquoi ses vaisseaux plongeaient vers les orbes de guerre, au-dessus de Theroc.

Les sept vaisseaux en provenance d’Osquivel volaient comme des moineaux dans un ouragan, prêts à se frotter à l’ennemi. Jared Huff, le pilote de l’appareil de Kotto, arborait un sourire de défi sur son visage constellé de taches de son. Il avait rassemblé la cargaison de sonnettes dans les chantiers spationavals.

— Nous y voilà, s’exclama-t-il. C’est comme si les hydreux n’attendaient que nous ! J’espère que vos machins vont fonctionner, Kotto.

— Nous avons vérifié tous les calculs, indiqua KR. Une erreur logique est peu probable.

Kotto avait insisté pour se faire accompagner par les deux compers, plutôt que de les laisser dans l’épave hydrogue.

— Il faut prouver le concept à la base des sonnettes en les testant en situation réelle, ajouta GU.

— Votre « situation réelle » pourrait bien nous coûter la vie, dit Jared.

— On verra ça dans un instant, répondit Kotto. (La confiance de ses hommes dans son idée l’intimidait. Ils croyaient en lui.) Bien sûr qu’elles vont fonctionner.

Il ferma les yeux, comme Huff accélérait.

Il avait recommencé maintes fois ses calculs, mais toute innovation comportait un certain risque. Il avait subi suffisamment de revers dans sa carrière pour savoir que la réalité ne se conformait pas toujours aux prévisions des ingénieurs.

Une dizaine d’orbes ennemis traversèrent l’atmosphère de Theroc, pour aller cracher leurs ondes réfrigérantes et leurs éclairs bleutés sur la forêt-monde mutilée. L’extermination des verdanis les obnubilait tant qu’ils ne prêtaient aucune attention à ces insignifiants intrus.

Kotto transmit aux six autres vaisseaux :

— Hum, tout le monde est prêt ?

Les orbes arrivaient à toute vitesse. Un bref instant, Kotto eut du mal à saisir l’énormité de ces incroyables sphères : à vue de nez, elles mesuraient plus de cent fois la taille de l’épave qu’il avait explorée. Et si elles n’obéissaient pas aux mêmes principes ? Son plan tomberait à l’eau, et…

— Kotto, vous avez encore la tête dans les nuages, dit GU.

— Si on ne lâche pas vos machins très vite, on va percuter les orbes. Ce serait un peu gênant pour nous, et pas très efficace.

— Exact. Tout le monde, lancez les sonnettes !

Les soutes s’ouvrirent, et des milliers de fines plaques souples s’éparpillèrent à la manière de confettis géants. Les membranes rectangulaires mesuraient deux mètres carrés. Elles voletèrent vers leur cible, tels des papillons de nuit attirés par la lumière… Dès qu’ils eurent largué leur cargaison, les vaisseaux vagabonds s’égaillèrent, tandis que les orbes plongeaient vers les arbres géants.

Tels des tapis volants high-tech, les sonnettes se dirigèrent vers les orbes. Kotto les avait pourvues d’un système de propulsion très simple, supposant qu’il ne serait pas difficile pour elles de se coller sur le flanc des énormes orbes, grâce à leur face adhésive. La plupart dérivaient au hasard, mais quelques-unes atteignirent trois sphères de diamant.

— Ding dong ! Y a quelqu’un ?

Les yeux de Kotto le brûlaient, tant il avait peur de cligner des yeux.

Sitôt qu’elles se furent fixées à la coque, les membranes se mirent à vibrer en augmentant peu à peu leur fréquence. L’une d’elles finit par atteindre le niveau de résonance approprié, et Kotto vit apparaître une fêlure rectangulaire dans la coque de diamant.

Les hydrogues ignoraient ce qui les avait frappés. La sonnette venait de déclencher l’ouverture d’une écoutille, comme Kotto l’avait fait sur la petite épave. Le même principe, à une plus grande échelle. Sur la face opposée de la sphère, une seconde membrane entra en résonance, et un autre orifice se forma dans la coque. Aussitôt, deux colonnes de vapeur jaillirent – l’atmosphère ultra-dense des hydrogues –, et l’orbe de guerre se mit à culbuter et tournoyer à la façon d’une roue de feu d’artifice.

Les Vagabonds poussèrent des hourras et des bravos.

— Comme un ballon gonflé d’air qu’on laisse échapper ! lança Jared dans un éclat de rire.

— Exactement comme prévu, commenta KR.

L’orbe incontrôlable frappa de biais un autre appareil puis rebondit dans l’espace, propulsé par sa propre atmosphère. La décompression était probablement en train de tuer les hydrogues à l’intérieur. Même s’ils survivaient, il n’y avait plus aucun moyen pour eux de reprendre le contrôle de leur appareil.

Presque simultanément, les deuxième et troisième orbes de guerre subirent le même sort. Les autres ne tardèrent pas à émerger de l’atmosphère de Theroc, pour converger sur ces attaquants inopinés.

— Oh oh, dit Kotto en les voyant arriver. A-t-on assez de sonnettes pour un second lâcher, Jared ?

— Il nous en reste beaucoup. Nous avons travaillé vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tu te rappelles ? Mais ces membranes sont lentes. Maintenant que les hydreux sont prévenus, ils peuvent les esquiver.

— Lâche-les. Pour les orbes, ce sera comme de passer entre les gouttes – ils ne pourront pas toutes les éviter.

Le premier orbe atteint crachotait ce qui lui restait d’atmosphère ; noir et mort, il s’éloignait en tournoyant sur lui-même.

Les Vagabonds dispersèrent le reste des sonnettes.

— O.K., mieux vaudrait se débander, conseilla Jared.

— Fais, je t’en prie.

Les sept vaisseaux s’égaillèrent, mais les orbes réagirent plus rapidement, et un éclair vaporisa l’un d’eux. Kotto étouffa un cri.

— Continue à fuir ! ordonna-t-il à Jared.

Le pilote se mit à zigzaguer.

— Le bon côté des choses, lança-t-il, c’est que nos sonnettes battent largement le Flambeau klikiss, qui fait exploser des planètes entières.

— Tu me passeras de la pommade plus tard. Pour le moment, concentre-toi sur le pilotage.

Kotto sentait la nausée l’envahir, mais il se retint de vomir.

Néanmoins, il était content que son idée ait prouvé son efficacité. La technologie des membranes à résonance était aisément reproductible, leur fabrication facile et de faible coût. Les humains disposaient enfin d’un moyen efficace de résister à l’ennemi. Cela dit, Kotto espérait voir la fin de la guerre, non mourir en héros ici.

L’un des orbes de guerre heurta plusieurs sonnettes à la dérive, qui se collèrent aussitôt à lui. Deux ouvertures percèrent la coque de diamant, déclenchées par la vibration. Comme un boulet de démolition, il s’écrasa sur une seconde sphère. Le choc fracassa ses excroissances pyramidales, avant de les expédier tous deux dans le sens opposé.

— En voilà cinq au tapis ! rugit Jared.

Mais d’autres venaient, et les Vagabonds n’avaient pas leur vélocité. Kotto vérifia les chiffres sur ses écrans. Aucun des petits vaisseaux ne disposait plus de membranes adhésives pour entraver leurs poursuivants. Ils les avaient toutes utilisées.

— Ça ne se présente pas bien…

— Un vrai casse-tête, glissa KR.

Mais Jared regardait, stupéfait, un objet qui se dessinait sur la toile noire de l’espace.

— Eh, Kotto ? Qu’est-ce que c’est ? Sûrement pas une comète. Vise un peu comment il se déplace. Par le Guide Lumineux, c’est plus rapide que…

Une sphère de glace, pareille à une traînée d’un blanc luminescent, striait le ciel dans leur direction. Un long sillage de brume s’incurvait à sa suite.

Juste derrière eux, l’orbe de guerre ouvrit le feu.

Soleils éclatés
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