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UDRU’H L’ATTITRÉ DE DOBRO
Au vu des conquêtes moins aisées qui les attendaient dans l’Agglomérat d’Horizon, Rusa’h l’Imperator avait envoyé son Premier Attitré et la majeure partie de la maniple vers une nouvelle scission, afin de l’ajouter à son réseau.
Un croiseur suffirait à écraser Dobro, si Udru’h refusait de coopérer. Son armement dévasterait sans peine la colonie plusieurs fois centenaire et les baraquements de reproduction.
Malgré les réponses évasives d’Udru’h, Rusa’h ne montrait aucun signe d’inquiétude en expédiant ce seul navire de guerre pour subjuguer Dobro. Il pensait que l’Attitré n’avait pas le choix. Ce dernier avait toujours eu le sens des réalités, et il ne permettrait pas que sa colonie soit détruite.
Le croiseur transportait un plein chargement de shiing, à destination de la population. Si Udru’h refusait de se convertir, on le tuerait et on poserait la même question à l’Attitré expectant Daro’h, plus malléable. Et si ce dernier refusait à son tour, on se passerait également de lui. Le choix offert à Udru’h n’était qu’une formalité.
Depuis le palais-citadelle où il dirigeait son thisme, Rusa’h avait renvoyé l’Attitré de Dobro sur l’ancien vaisseau amiral, avec Zan’nh toujours prisonnier à bord.
Pendant le voyage, on laisserait Udru’h libre de ses mouvements, mais le croiseur n’était qu’une prison plus grande. Avec un équipage entièrement dévoué à sa cause, Rusa’h ne s’inquiétait pas de ce qu’un Attitré solitaire pouvait faire. Une fois arrivé à destination, personne ne doutait qu’Udru’h changerait de camp. L’Imperator autoproclamé affirmait bien connaître son frère.
Udru’h se promenait dans les coursives, en direction de la cabine où l’adar était retenu prisonnier. « Peut-être qu’au cours du voyage l’adar verra la lumière de la raison », avait dit Rusa’h. L’obliger à regarder la reddition et la conversion de Dobro avait apparemment pour but d’affaiblir sa résolution.
Udru’h savait qu’il disposait de peu de temps.
L’expression neutre, il approcha des deux gardes en faction devant la porte. Ils appartenaient au kith solidement charpenté des soldats et arboraient des katanas de cristal et une armure cloutée. Contrairement à Udru’h, l’adar avait refusé avec véhémence de coopérer, de sorte qu’on le gardait enfermé.
Les deux gardes se placèrent au garde-à-vous en voyant l’Attitré approcher. Udru’h utilisa ses techniques mentales pour masquer ses pensées, par simple précaution, bien qu’il soit impossible aux gardes de déchiffrer ses propres liens avec le thisme. De son côté, il restait aveugle à leur esprit relié au réseau de Rusa’h. Udru’h estimait que cela constituait un avantage. Ils étaient plus faibles que lui.
Il leur adressa une ombre de sourire.
— Votre Imperator m’a ordonné de discuter avec Zan’nh autant que possible. Mon frère croit que je peux miner sa résistance.
Il s’approcha d’eux en tâchant d’assourdir ses pensées. Son cœur battait la chamade.
Il n’était pas dans la nature des gardes de remettre en cause les instructions d’un Attitré. Simultanément, tous deux posèrent le poing sur leur plastron en signe de salut.
Udru’h n’hésita pas. Il s’élança en brandissant le poignard incurvé qu’il dissimulait dans son poing gauche. D’un coup latéral, il trancha la gorge du garde sur sa gauche, et, dans le même mouvement, enfonça la pointe à la base du cou du second garde, au ras de son épaulière. Il appuya avec sa paume sur le pommeau, afin d’aider la lame à pénétrer.
La gorge du premier garde saignait à profusion. Il gargouilla, toussa et glissa sur le sol. Mais le second, même avec un poignard fiché dans le cou, mit plusieurs secondes à rendre les armes. Udru’h recula en louvoyant dans le couloir aussi vite que possible. Suffoquant, le garde s’avança vers lui d’un pas lourd, en agrippant le manche du poignard.
Udru’h n’avait rien d’un guerrier, mais il n’avait pas besoin de l’être. Le poison sur la lame agissait rapidement. Il s’agissait de la même substance hautement toxique qui, paraît-il, avait provoqué la mort du Mage Imperator Cyroc’h.
Quelle ironie.
Les pas du garde devinrent incertains. D’après l’expression qui traversait son visage bestial, Udru’h percevait l’effet du poison qui brûlait dans ses veines. Il ralentit tout en gardant ses distances. Le garde chancela mais mit plus longtemps que prévu à mourir.
L’Attitré de Dobro regarda alentour, craignant de voir des membres de la Marine Solaire lui tomber dessus. Il ne s’était pas attendu à causer autant de désordre. Il se demanda si Rusa’h, sur la lointaine Hyrillka, avait senti la mort violente de ses deux disciples.
Enfin, dans un dernier grognement, le garde s’effondra face contre terre, son katana de cristal brandi vers lui.
Udru’h avait mené la première phase à bien. Il regarda le sang sur ses mains, puis sa tenue éclaboussée d’écarlate. Bien que le vide laissé par l’absence de thisme résonne en lui, il ne laissa pas le chaos envahir son esprit. Malgré le martèlement de son cœur, il tâcha de recouvrer son calme.
Des Ildirans ont tué des Ildirans. Bien que Rusa’h n’ait cessé de proclamer vouloir revenir aux anciennes traditions, il semblait en avoir créé une nouvelle.
Udru’h leva son poignard de cristal et se dirigea vers la chambre de détention de Zan’nh.