47

LE ROI PETER

À l’approche du premier vaisseau de Crenniens, le département du protocole s’empressa de préparer une réception grandiose. Davlin Lotze, aux commandes du vaisseau réquisitionné sur Relleker, avait parlé sur une ligne privée avec le président Wenceslas. Ce dernier demanda au roi Peter d’enfiler une tenue de circonstance afin de leur souhaiter la bienvenue.

— Feriez-vous preuve de compassion, Basil ? Une facette de votre caractère qui m’était inconnue… Ou y a-t-il quelque chose que je doive savoir ?

— Je vous dis ce que vous devez savoir. Rien de plus. (Il faisait les cent pas à la porte des appartements royaux, tandis que des domestiques passaient à la reine Estarra une robe incrustée de perles et de pierreries.) Mais les nouvelles m’inquiètent grandement. Les hydrogues et les faeros détruisent des soleils et anéantissent des planètes habitables comme Crenna. Lotze croit que cela ne fait que commencer. Nous avons eu de la chance jusqu’à présent.

— Je doute que les réfugiés de Crenna se considèrent comme chanceux.

— Ils sont en vie, rétorqua Basil. Le fait qu’ils aient échappé à une mort certaine pourrait être présenté sous un angle positif.

Les ouvriers mirent les bouchées doubles pour dresser une tribune officielle enguirlandée, en attendant que le vaisseau de Lotze atterrisse dans le Quartier du Palais. Le temps avait manqué pour rameuter la foule des grands jours, mais les journalistes attitrés et le personnel résident se hâtèrent de remplir les gradins pour assister à l’accueil, par le roi et la reine, des braves réfugiés d’un système solaire anéanti par les hydrogues.

Comme d’habitude, un garde royal menait le cortège d’un bon pas. Surmontant sa réticence coutumière, Basil les accompagnait, flanqué d’Eldred Cain et de quatre hauts fonctionnaires de la Hanse.

Pourquoi ne pas avoir amené aussi le prince Daniel ? songea Peter. Histoire de montrer que la Hanse est une grande et belle famille

Depuis leur retour d’Ildira, quelques jours auparavant, Peter avait décelé un changement d’attitude chez le président : une surveillance plus active, un regain de suspicion. Estarra l’avait également senti ; Peter le percevait dans la tension qui l’habitait, même si ses traits demeuraient sereins. Avaient-ils laissé filtrer un indice sur sa grossesse ? Tous deux craignaient la réaction de Basil, lorsqu’il saurait au sujet du bébé. Ces derniers mois, celui-ci était devenu prompt à s’énerver, de sorte que Peter ne s’attendait pas à une réaction rationnelle de sa part. Le président détestait tout événement qu’il n’avait pas prévu.

Tandis qu’ils grimpaient les marches de la tribune officielle, Peter offrit sa main à la reine. Il avait reçu des leçons d’étiquette d’OX, son comper Précepteur. Mais son véritable apprentissage des bonnes manières remontait à sa mère… sa vraie mère, Rita Aguerra.

Malgré le manque de ressources, cette rude travailleuse n’avait jamais failli à son rôle de mère. À cette pensée, une profonde tristesse envahit Peter. Les yeux piquants, il regarda Estarra. Il n’aurait jamais la joie de lui présenter sa reine bien-aimée. Dans l’intention d’effacer toute trace de son passé, la Hanse – non, Basil en personne – avait organisé la destruction de leur immeuble, assassinant sa mère et ses jeunes frères. Un jour, Basil paierait pour cela.

Mais Peter ne montra rien du maelström d’émotions qui le traversait. Estarra lui jeta un coup d’œil inquiet lorsque sa main se crispa sur la sienne, mais il s’efforça de sourire. Jamais il ne laisserait Basil savoir ce qu’il avait réellement en tête. C’était trop dangereux.

Le couple royal se tenait devant la tribune, lorsque le vaisseau atterrit sur la place de réception pavée du Quartier du Palais. On avait dévié le trafic commercial et militaire, afin de ne pas perturber la couverture médiatique.

L’orchestre officiel entama une fanfare lorsque les sas bâillèrent et que des colons sales et débraillés sortirent en file. Des représentants de la Hanse vinrent à leur rencontre, leur serrant la main, puis les dirigeant sur le côté afin de faciliter leur débarquement.

Peter restait près de la reine à observer, saluer et sourire. Tous deux n’en revenaient pas qu’autant de gens aient pu tenir dans le vaisseau ; apparemment, un autre arriverait d’ici un jour ou deux. Peter avait vécu dans un appartement surpeuplé avec sa mère et ses frères, voilà longtemps. S’il le fallait, les êtres humains supportaient des conditions difficiles.

Les réfugiés formaient une colonne unique, qui s’acheminait à pas lents devant la tribune. Le soleil brillait dans un ciel limpide, et la brise venue de l’océan vivifiait l’air… comme un contrepoint à ce que ces gens avaient vécu ces derniers jours à bord du vaisseau.

Deux hommes avançaient en se bousculant l’un l’autre. Peter entendit l’un d’eux murmurer :

— Jamais j’aurais cru qu’on remettrait les pieds sur Terre. Quand je pense que ça nous a pris six fichus mois pour monter notre colonie…

— À force de partir et de revenir à la case départ, soupira son compagnon, je vais finir par creuser un sentier !

Le président glissa à l’oreille de Peter :

— Voilà Lotze. Remerciez-le, et invitez-le à nous rejoindre sur la tribune.

Le roi opina légèrement du chef.

— Davlin Lotze, la reine et moi-même souhaitons vous remercier pour la réussite de votre mission. Je suis ici pour vous féliciter avec tout l’apparat que permet ma charge. Mais ma gratitude n’est rien par rapport à ce que vous doivent les colons de Crenna. Venez, soyez notre invité à cette cérémonie.

Le regard de Lotze glissa du roi vers le président.

— C’est pour moi un honneur, Majesté.

Il gravit les marches sans le moindre bruit, et Peter douta qu’il puisse en faire à moins de l’avoir choisi. Il alla se placer au côté du président, afin de converser discrètement.

— Comment s’est passé votre retraite, Davlin ? demanda Basil avec une ironie non dissimulée.

— Pas mal, jusqu’à l’arrivée des hydrogues.

— Et aujourd’hui, vous voici devenu un preux chevalier pour ces gens… (Tous deux regardaient devant eux en souriant.) Que diable voulez-vous que l’on en fasse ? Sans compter la cargaison que Rlinda Kett doit apporter d’ici vingt-quatre heures environ.

Attentif à chacune de leurs paroles, Eldred Cain se pencha vers lui.

— Mais songez à la presse dont la Hanse va bénéficier. « Sauvés des griffes des ennemis hydrogues. »

Basil renifla.

— Une fois les projecteurs éteints, ce ne seront plus que des réfugiés.

— Laissez-moi plaider leur cause, dit Lotze. Ces gens ont tout abandonné pour prendre un nouveau départ sur Crenna. Ils ne veulent pas particulièrement rester sur Terre. Trouvez-leur un autre monde klikiss. Ce sont des experts dans l’art de monter des installations coloniales ; la responsabilité de l’échec de Crenna ne leur revient pas. Vous n’avez pas à vous inquiéter.

Basil éclata d’un rire amer.

— Il y a toujours de quoi m’inquiéter, Davlin. Aujourd’hui plus que jamais.

 

Dans l’après-midi qui suivit la cérémonie, Peter et Estarra eurent besoin de s’isoler, afin de se réconforter mutuellement. Tandis qu’ils nageaient dans la piscine aux dauphins du Palais, le roi savait que des espions les observaient. Estarra et lui avaient appris à les ignorer, même s’ils restaient sur leurs gardes.

Les dauphins aimaient nager avec leurs royaux visiteurs. Leurs formes argentées fusaient autour d’eux. Parfois, Peter et sa compagne jouaient avec eux ; d’autres fois, ils étaient absorbés l’un par l’autre. Comme maintenant.

Peter plongea son regard dans les yeux marron d’Estarra. Il caressa son menton délicatement pointu, puis tourna son visage afin de la contempler. Ses épais cheveux noirs, noués en des tresses torsadées, semblaient imperméables, luisants de gouttelettes. Il l’embrassa, et l’inquiétude disparut de son visage.

— Je t’aime beaucoup.

— Tu me retires les mots de la bouche.

Peter aurait voulu pouvoir projeter ses pensées dans l’esprit de la jeune femme. Le Mage Imperator devait avoir un lien si beau avec ses sujets : avec le thisme, nul besoin de secrets, de diplomatie en sous-main, de malentendus ou de messages secrets…

Il y avait tant de choses que Peter voulait lui dire de vive voix : des choses à la fois cruciales et insignifiantes. Mais ils devaient se montrer prudents ensemble. Il connaissait Estarra et savait exprimer ses idées et ses inquiétudes d’un regard, d’une expression du visage, d’un soulèvement des sourcils, d’une caresse du bout des doigts. Toujours sous surveillance, ils avaient développé leur langage personnel. Mais cela ne suffisait pas.

Sous l’eau, il fit courir un doigt sur la peau douce de son ventre. La signification était claire, et elle l’attira tandis que les dauphins s’éclaboussaient autour d’eux, impatients de jeux plus actifs.

Il utilisa le signal : « Tout ira bien. »

Elle fit danser ses doigts : « Seulement si on fait attention. Très attention. »

Il baissa la voix jusqu’à ce qu’elle se confonde avec sa respiration, lorsqu’il dit :

— Alors, on fera attention.

Soleils éclatés
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